Déconversions en bio : accroc de croissance ou retournement profond ?
Il y aurait en France aujourd'hui 58 720 exploitations en bio. 2 300 auraient décidé de quitter la bio en 2021 soit 4 % des producteurs, quand dans le même temps 7 500 producteurs rejoindraient l'un des cahier des charges chaque année. Un phénomène qui pourrait donc être considéré comme marginal d'un point de vue statistique, à moins qu'il ne marque une véritable évolution de fond motivée par des difficultés techniques, des questions de débouchés, de valorisation... ou de motivation.

L'Agence bio recence chaque année auprès des organismes certificateurs leurs effectifs. Chaque fois qu'un agriculteur se convertit à la bio il doit se déclarer auprès de l'Agence bio et signer un contrat avec une entreprise de certification. Lorsqu'il part en retraite ou qu'il décide d'abandonner le cahier des charges bio il résilie ce contrat. C'est donc à ce moment là que l'agence recense les "déconversions".
-5 % de déconversion annuelle
Le chiffre de 2021 pourrait au final atteindre 5 %, soit un chiffre dans la moyenne observée depuis une dizaine d'années. Étienne Gangneron, vice-président de la FNSEA en charge du bio rappelle que l'année 2015 correspondait avec un pic de conversions, et que les contrats MAEC engageaient les producteurs pour 5 ans, ce qui expliquerait une sortie de la bio plus importante en 2021. Pour autant le passage en bio induit des changements de fond dans l'organisation par exemple pour plus d'autonomie alimentaire en lait, ou des investissements lourds en porc et en volaille, et sont autant de freins à des retours en arrière.
Les chiffres par filière corroborent ces éléments. Les déconversions sont les plus importantes en grandes cultures, en maraichage, en viticulture. Au total les filières végétales cumuleraient les trois quarts des déconversions. Sans doute parce qu'il est moins difficile dans ces filières d'envisager un retour en arrière. Autre explication, les grandes cultures seraient aussi la production qui a connu le plus de conversions, logique qu'elle cumule le plus de déconversions.

Des motivations difficiles à quantifier
Mais si les producteurs prennent cette décision c'est bien sûr pour des raisons qui dépassent la simple "saute" d'humeur. Il n'existe pas véritablement aujourd'hui d'étude sur les motivations profondes de ces agriculteurs. Il serait sans doute bon d'ailleurs d'avoir une vision claire de la situation sans quoi les injonctions politiques de développement de la bio risquent bien de rester lettre morte.
Parmi les éléments qui sont les plus couramment avancées on retrouve les contraintes techniques, voire le fait quelquefois d'être dépassé par le parasitisme, le mildiou notamment en vigne, les pucerons en maraichage.
Difficile par ailleurs d'ignorer les difficultés économiques et de valorisation de cette filière. On constate aujourd'hui des embouteillages dans certaines filières en œuf, en légumes, en bovins, et bien sûr en lait qui connait aujourd'hui une crise majeure de marché et de débouchés. Face à des marchés trop limités ou trop peu porteurs, la tentation de la déconversion est importante. L'exemple le plus parlant serait le maraichage avec près d'un tiers de renouvellement (325 sorties du bio pour 1 080 entrées).
Les filières végétales cumuleraient les trois quarts des déconversions.
L'enjeu transmission
Le moment qui semble en tout état de cause majeur est bien celui de la transmission. Certains agriculteurs ont fait l'option du passage en bio quelques années avant leur retraite plus par effet d'opportunité des aides que pour pérenniser un système. Avec aujourd'hui une rentabilité plus limitée et pas d'aides, le repreneur peut évidemment se poser la question de maintenir ce système.
Mais là aussi les chiffres sont assez contradictoires avec le fait que ces arrêts ne traduiraient pas systématiquement des déconversions des superficies. Interbio indique que les "trois quarts des superficies seraient maintenues en mode de production biologique", et que des changements sociétaires avec des fusions, des regroupements d'exploitations, se se traduiraient dans près de 10 % des cas par des diminutions du nombre d'exploitation mais un maintien de la production.
Bref le chiffre de 5 % de déconversions est en valeur absolue très important. Mais il doit probablement amener plus d'analyse et de réflexion, probablement à mettre en parallèle de ce qui se passe en conventionnel. Un seul exemple en petit maraichage, là ou les déconversions sont les plus importantes, les spécialistes notent que le turn over des producteurs est aussi excessivement important en conventionnel. Des chiffres à prendre donc avec des précautions mais qui interpellent sur l'ampleur et la pérennité de ce mouvement de conversion, récent et immédiatement violemment percuté par des questions de marchés et de rentabilité.
À court terme, le rytme des conversions semble se réduire. Ecocert parle d'une baisse de 30 % des demandes de devis pour 2021. Les filières ont aussi pris les choses en mains pour gérer le développement en fonction des marchés et des débouchers réels. Des convertis qui auront besoin demain probablement de plus d'accompagnement technique.
Finalement la bio, comme le conventionnel, après une phase de développement très fort a besoin de stabilité et de maîtrise, pour assurer sa pérennité.
"Il faut une prise de conscience globale"

Pour Loïc Guines, éleveur laitier en Ille-et-Vilaine et président de l'Agence Bio, "ce phénomène des déconversions est difficile à appréhender". Autour de nous en Bretagne ce phénomène est peu visible par exemple en lait, même s'il est "plus évident dans d'autres productions par exemple en œuf où des éleveurs ont subi des ruptures de contrats".
La phase de transmission d'exploitations est par contre devenue un vrai sujet puisque "le cédant va proposer son exploitation en ayant bénéficié des aides à la conversion et le jeune qui reprend ne bénéficie plus de soutiens" alors pour peu qu'il soit confronté à des difficultés pour maîtriser son élevage techniquement...
Mais plus globalement Loïc Guines pointe du doigt "les deux années particulières que nous venons de vivre" qui se traduisent au final "par une baisse de la consommation et une forte augmentation de la production". À partir de cette "situation particulière", la question est de savoir si la consommation va revenir à une situation "normale", ou si elle va se figer.
Le consommateur est selon lui de plus en plus "perturbé par la multiplication des marques, des cahiers des charges, et autres labels". Au millieu, le Bio apparait plus cher, pour un bénéfice qui ne sauterait pas aux yeux. "La suppression des cages pour l'élevage des poules a permis de développer les volailles avec parcours, des élevages au sol, de multiples marques, observe-t-il. Le consommateur est aujourd'hui totalement perdu et il arbitre sur la question du prix".
Et au niveau du prix justement, le président de l'Agence bio souligne "le niveau des marges engrangées par la grande distribution". Une enquête de "Que choisir" a montré que la grande distribution margeait de façon indécente sur la bio. Globalement "il faut qu'il y ait une prise de conscience globale sur ces questions".
Autre point, le bio a sans doute "vécu sur ses lauriers et n'a pas vu, ou pas su tenir un discours sur ce qu'apporte le bio : santé, biodiversité, environnement, emploi local",... "L'Agence est au travail et a sollicité le ministère et les interprofessions pour construire un même discours et intensifier les messages. Nous avons également entrepris des échanges avec la distribution, généraliste et spécialisée, pour qu'elle participe plus activement à la diffusion de ces messages et d'actions de mise en avant", détaille Loïc Guines.
"À chaque crise en conventionnel on a assisté à un afflux de producteurs en bio qui recherchaient des prix plus valorisants". Il faut que les responsables politiques aussi s'interrogent : "le développement de la production n'a jamais poussé le dévelopement du marché. Il faut être demain prudents sur les conversions, et faire du développement en fonction du marché". Une lapallissade ? Pas pour tout le monde !