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Pierrick Le Labourier témoigne d’une vie d’aviculteur : 300 lots et 4 millions de volailles élevées

Plumelec, canton de Saint-Jean Brévelay, la Mecque de la volaille en Morbihan. Là, durant 44 ans, Pierrick Le Labourier, aviculteur, aura élevé seul 300 lots de volailles dans ses 2 000 m². Dans cette dernière ligne droite de carrière, confinement oblige, il a repris ses classeurs. Récit d’une vie d’aviculteur à l’aune des chiffres où comptent les valeurs humaines, celles de l’ouverture, de l’échange, du lien, du partage. Celles du collectif, du GVA à la coop.

Le regard de Pierrick Le Labourier sur sa profession d'aviculteur, exercée durant 44 ans est celle de l'histoire de cet élevage en Morbihan.

Sur le rebord de la fenêtre de cette coquette maison qu’il a acquise seul, à 24 ans, parce qu’il "faut savoir saisir les opportunités, c’était à ma porte, juste à côté de la ferme de mes parents", quelques pensées bleues ondulent en jardinière. C’est le rappel discret et poétique à la toponymie du lieu : Folle Pensée-Lanvaux en Plumelec.

 

"J'ai choisi mon métier"

À proximité de la maison, les bâtiments d’élevage. Les alentours y sont rangés, les bosquets taillés et le gazon tondu ras, pour une vue dégagée de l’humain et du félin : "si une souris s’aventure, je la vois. Le sanitaire, c’est primordial. La base", répétera à plusieurs reprises cet éleveur dans l’âme. Ainsi, en 1978 à 17 ans, son Bac en poche avec pourtant un an d’avance, le bon élève préférera le grand saut professionnel. "J’ai choisi mon métier". Celui d’aviculteur, dans une ferme familiale où trois élevages cohabitaient, "un poulailler de 400 m², des vaches laitières et du cochon qui ne m’a jamais attiré. Papa était allergique à la volaille". Alors, sur les sept enfants, Pierrick choisira l’aviculture, devenant aide familial, effectuant aussi des remplacements, "tu apprends plein de trucs, à travailler, à observer, à comprendre comment fonctionne la filière". Son jeune frère Marc, syndicaliste, resté depuis 10 ans dans le souvenir de beaucoup, reprendra ensuite l’activité laitière, "c’était son truc". Pierrick ne négligera pas de passer un "BP de gestion compta, ça m’a permis de faire ma compta de A à Z, de suivre et maîtriser tous mes chiffres, le bilan était vite fait", note-il, le doigt sur son cahier, où durant la période de confinement, il a compilé toutes ses données d’élevage accumulées depuis 44 ans. Une mine.

Ce qui fait vivre, c’est la rotation des lots.

486 bâtiments en 1987

Novembre 1986, c’est l’assemblée générale de la CAM, coopérative des agriculteurs du Morbihan, "je fonce, je m’inscris". Car c’est le grand envol de la volaille en Morbihan : "486 bâtiments ont été construits en 1987. Les bâtiments étaient financés à 100 % par la banque". En moins de six mois d’instruction de dossier, ses 1 200 m², type statique, sortent de terre. "En mai 87, j’ai fait mon premier lot à moi, en tant que jeune installé au 1er janvier". Il débourse alors l’équivalent de 100 000 euros pour financer ce premier bâtiment neuf de 1 200 m². L’ancien bâtiment de 400 m² datait de 1960 : "ces années là, en un an, tu remboursais le bâtiment, ça remplaçait la pomme de terre. Le deuxième lot payait la voiture"… Retour au début des années 1990, "pendant neuf ans, j’ai vécu avec 1 600 m², et je vivais bien".

 

Complexification

Lancé en 1994, le bâtiment de 800 m², type Louisiane, est construit en 1997. "Il m’a coûté le même prix que le 1 200 m². Le dossier était plus complexe, avec enquête publique. Je suis passé en conseil d’hygiène où j’ai attendu plus de trois heures. C’était difficile, on connaissait les premiers blocages avec le passage des cantons en ZES". Les heures de gloire de la volaille sont révolues. En 2006, c’est l’heure des primes à la cessation pour accompagner la filière en difficulté. Pierrick Le Labourier profitera de celle distribuée pour détruire son vieux 400 m². Aujourd’hui, "c’est devenu hyper complexe, il faut être hyper motivé. Nous vivons une époque très procédurière, avec beaucoup de contrôles, toute ma carrière, j’ai été contrôlé, c’est logique, mais c’est toujours plus", note-t-il à regret, constatant en parallèle la diminution du nombre d’agriculteurs. "Il y avait  53 000 m² de volailles sur la commune de Plumelec en 1995-2000 avec 30 éleveurs. Aujourd’hui, ce sont 32 000 m² et quatre éleveurs ont 75 % du parc. J’ai 2 000 m²".

 

Les passages à vide

"Se faire virer sur des résultats techniques, je suis contre, j’en ai pourtant trop vu", raconte Pierrick Le Labourier, coopérateur, attaché aux valeurs humaines. En 2002, advient un lot catastrophique. Dégoûté, "je m’étais inscrit à une session de reconversion", raconte-t-il sur ce passage à vide, "à 12-15 kg, mes dindes tombaient comme des mouches", sans compter l’année 1987, "trois jours sans électricité après la tempête, des étouffements", idem pour 600 dindes massées devant l’unique point lumineux, mortes étouffées, et les coups de chaleurs des étés 2003, 2011..."700 dindes de 16 kg mortes, étouffées 2015"… "Des journées comme ça, qui ne les a pas eues ? Et puis on repart", aussi porté par l’échange, dans les groupes.

 

"Pour gagner sa vie, il a fallu augmenter la production"

"En 1990, je faisait 2,8 lots à l’année, aujourd’hui, je fais 2 lots. Comment réussir à gagner de l’argent ?", interroge-t-il, désabusé. Pour gagner sa vie, "il a fallu augmenter la production, passer de 60 kg au m² en 1990 à 90 aujourd’hui en dinde. Idem en poulet, on est passé de 32 kg à 42 par m²", détaille-t-il, notes sous les yeux. "Et pourtant, en 1988, je mettais 10 à 12 dindes par m² aujourd’hui, 7,5 et elles ont une vie plus longue". Les gains de productivité se lisent dans l’amélioration de la marge poussin/aliment/m² passée de 10 euros en 1989, à 24 euros désormais. Mais : "autrefois, les dindons étaient livrés à 10-12 kg. ils sont ramassés depuis 18-19. En période de crise comme on la vit actuellement, on stocke sur pied en élevage et on livre à plus de 23 kg. Et quand on perd une dinde de 25 kg, c’est 25 euros qui disparaissent", pointe-t-il à l’heure où est subi un marché mondialisé, dans "un contexte d’Influenza aviaire, de crises sanitaires et d’embargos. Ce qui fait vivre, c’est la rotation des lots". Pour autant, partout se sont faits des gains de productivité. "On arrive aujourd’hui aux limites techniques, elles sont mangées par l’augmentation du gaz, l’installation de perchoirs, les fenêtres, le sol en béton… Les poulaillers deviennent des salles de jeux, ça a un coût…". Et de résumer "en 1990, je remboursais mon emprunt, je me dégageais un salaire et je plaçais de l’argent. Aujourd’hui je travaille pour la gloire avec des vides sanitaires trop longs". Amertume.

 

Des évolutions majeures

Resteront des évolutions majeures, notamment sur le recours à l’antibiothérapie. "On est passé d’une époque où on traitait à l’aveugle au Chloramphénicol, à aujourd’hui où on envoie systématiquement au labo en analyse, et on cible. Je suis dans le préventif", raconte l’éleveur qui a toujours préféré laver seul, et à grandes eaux, ses bâtiments plutôt que déléguer la tâche de désinfection. "Le sanitaire, c’est primordial", insiste-t-il. Autre évolution majeure pour Pierrick Le Labourier, qui a connu "le tout manuel pour les livraisons, l’aliment, la ventilation", l’automatisation de la ventilation, des chaînes d’alimentation et de leur relevage ainsi que la mécanisation de nombreuses tâches, y compris de celle de l’enlèvement..."On a diminué la pénibilité, amélioré l’ergonomie et notre santé, notamment par le port de masques lors de la désinfection ou la pose de copeaux". Si cela représente un coût indéniable, "tu gagnes en santé pour l’humain et en sanitaire pour l’animal", précieux à l’heure de dresser un bilan de carrière où la pénibilité des tâches se paye cash, en divers maux.

 

"L’égoïsme me révulse"

"La volaille, c’est un cycle. Tu planifies, c’est une gestion du temps qui permet une vie familiale, des engagements", apprécie Pierrick Le Labourier qui a élevé, avec son épouse aide-soignante, deux enfants. "On est toujours parti en vacances, pas forcément très loin ni très longtemps mais...". Il y a aussi la chambre d’hôte créée en 1995, avec l’agrandissement de la maison. "C’est un complément de revenus mais avec nos clients, on est parti partout, invités. Les gens venaient ici par choix, pour découvrir la volaille qu’on s’est appliqué à leur montrer. Ils nous parlaient de leurs métiers, de leurs contraintes. Tu relativises !". Il y a aussi les engagements, d’élu, "fidèle à la CAM, devenu Triskalia et Eureden maintenant, où je me suis toujours investi", raconte cet administrateur, vice-président de la section volaille, refroidi par les évolutions et qui "rétrograde volontairement", marqué par la perte "de proximité. La communication, c’est une catastrophe. Désormais, on reçoit trois feuillets, on est au courant de rien, les cadres sont distants", note-t-il attaché à l’échange et au partage, y compris de l’information. Une posture qu’il a tenu au Cidef où il a siégé quatre ans. Et au GDS, à la présidence de la section avicole. En n’omettant pas son adhésion dès 1980 au GVA, "pendant 42 ans et fidèle aux groupes. J’ai accordé beaucoup d’importance au GVA, dans toutes mes fonctions. Tous ces échanges, ces liens. Nous avons passé beaucoup de bons temps et appris des choses. C’est tellement riche ces échanges, ces voyages d’études. Toutes mes formations, je les ai faites là, jusqu’à comment préparer sa retraite !", raconte l’homme dont le regard se porte sur l’orée du bois, à quelques dizaines de mètres de la maison. Là où il vient de planter des arbres, plus de 600, pour une nouvelle vie de forestier qu’il entend faire rimer avec celle de retraité.

 

 

Une carrière, en chiffres

- 301 lots menés en 44 ans
- 138 lots de poulets soit 2 555 000 animaux élevés et 4 100 tonnes de poulets livrés
- 122 lots de dindes standard soit 1 100 000 élevées et 9 000 tonnes de dindes livrées
- 30 lots de dindes "baby" pesant entre 2,5 et 5 kg
- 1 lot de pintades.

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