Pomme de terre : la création variétale, un travail de longue haleine
Après 26 ans au service de la création variétale de pommes de terre à la station de Kerloï, à Ploudaniel (29), Jean-Marc Abiven s’apprête à partir en retraite. L’occasion de mettre en lumière un travail passionnant, nécessitant rigueur et patience.

"J’ai été embauché en 1985 par la fédération nationale des producteurs de pommes de terre", se souvient Jean-Marc Abiven, qui a consacré le plus clair de sa carrière professionnelle au tubercule, après un passage par le service de la protection des végétaux, à Brest, où il suivait l’échalote et, déjà, les étourneaux et leurs dortoirs.
Trois ans de tuilage
D'abord en poste à Pontivy (56), ce natif du Finistère rejoint rapidement ses terres et le syndicat d’Irvillac, où il se charge du suivi des producteurs. Puis une nouvelle opportunité se présente, avec le départ en retraite de Jo Le Berre, responsable de la station de création variétale de Kerloï, qui appartient à Bretagne plants. "L’annonce est parue en interne. J’ai postulé et j’ai été retenu". Le tuilage est prévu sur trois ans, ce qui lui laisse largement le temps de vérifier que ce nouveau travail lui convient, et de commencer à faire ses preuves.
"C’est un métier polyvalent". Responsable de la station, Jean-Marc Abiven jongle avec plusieurs casquettes. S’il doit gérer les 5,5 permanents qui y travaillent, il se charge aussi de l’exploitation agricole et de ses tâches administratives, comme le dossier PAC. Et s’enquiert des souhaits des collecteurs en matière de nouvelles variétés.
10 années pour une variété
Export, marché du frais, chair ferme, transformation en frites ou chips… : Kerloï est désormais présent sur tous les créneaux. "Sauf sur la fécule : il n’y a pas d’usine dans le secteur".
Pour créer ses nouvelles variétés, la station choisit d’abord de futurs parents. Avec les fortes attentes sociétales et la diminution des molécules autorisées, il n’est plus envisageable de proposer des variétés qui ne soient pas résistantes au mildiou, aux virus ou aux nématodes. "Pour cela, il nous faut partir des variétés sauvages", indique le sélectionneur. Disponibles à l’Inrae de Ploudaniel, elles sont mises à disposition de l’ANVNPT, l’association de créateurs de variétés nouvelles de pommes de terre, qui regroupe les trois stations de la profession, ainsi que Germicopa. "Mais ce sont souvent des variétés tardives, avec peu d’intérêt culinaire. Il nous faut réaliser plusieurs croisements, en espérant combiner les caractères favorables".
Une fois les parents choisis, les croisements se font au moment de la floraison. Les baies sont récoltées à maturité. Et 60 000 graines, toutes différentes les unes des autres, seront semées l’année suivante sous serre. La sélection peut alors démarrer, à partir des tubercules obtenus. "On va en garder 25 000, en fonction de leurs caractères morphologiques : forme, couleur de peau, profondeur des yeux…".
Sous serre puis au champ
En année 3, les tubercules sont plantés au champ. Une première sélection va s’opérer en végétation, en éliminant les plantes peu vigoureuses, trop tardives, aux problèmes de feuillage… Elle se poursuivra à la récolte, en jugeant les tubercules sur leur forme, leur couleur, leur nombre, leur grosseur…, pour n’en garder que 4 000. En année 4, le tri se poursuit sur le même modèle. Puis chaque hybride est planté dans deux parcelles distinctes, l’une conduite en multiplication, l’autre amenée à maturité afin de juger de sa valeur agronomique (rendement, vigueur, précocité…) et technologique (matière sèche, cuisson…). "On va juger la présentation, on va les cuire à la vapeur, les transformer en frites ou en chips, tester la sensibilité aux chocs, traquer les défauts internes…", détaille Jean-Marc Abiven.
Au fil des ans, le nombre d’hybrides se réduit comme peau de chagrin, jusqu’à n’en avoir plus que 3 ou 4 au bout de 10 ans. "Entre-temps, on aura aussi fait des essais en France et à l’étranger, pour voir le comportement de la variété dans des conditions pédo-climatiques différentes de la Bretagne".
Attribuées aux Bretons
Deux ou trois ans avant l’inscription au catalogue, le sélectionneur propose ces nouvelles variétés aux potentiels attributaires. "Ils vont m’indiquer ce qu’ils recherchent. Et tester quelques variétés chez eux". Et c’est à l’issue de ces essais qu’ils prendront la décision, ou non, de l’inscrire au catalogue français ou ailleurs en Europe. "Voilà quelques années déjà que le conseil d’administration de Bretagne plants a fait le choix de ne confier les variétés issues de Kerloï qu’aux attributaires bretons : Elorn plants, LSA, Eureden, Douar den et Germicopa, précise Jean-Marc Abiven. Et chaque variété n’est attribuée qu’à un seul d’entre eux : il s’investira nettement plus pour la développer que s’ils sont plusieurs à la détenir". Une politique qui porte ses fruits : de 400 ha de plants issus des variétés de Kerloï quand Jean-Marc Abiven est arrivé en poste, à la fin des années 90, la surface dépasse désormais les 2 500 ha avec Elbeïda, Synergy, Universa, Naïma, Gourmandine ou encore Celtiane, une co-obtention avec Pierre Billant.