La forêt bretonne est en déséquilibre structurel
Pour le président du syndicat forestier finistérien et également membre de chambre d'agriculture, la forêt bretonne est fragilisée par sa faible capacité productive. En cause, le déséquilibre entre feuillus dont les surfaces augmentent et résineux, en diminution. Or le sciage - qui en Bretagne est la seule activité forestière réellement productive - est essentiellement demandeur de résineux ! Fort de ce constat, Bernard Menez espère une politique forestière bretonne plus active en faveur des résineux.

Comment la forêt bretonne se porte-t-elle ?
Bernard Ménez. J'aurais tendance à juger la forêt bretonne en me demandant si elle remplit correctement les trois fonctions que lui impose la loi : la fonction production de bois d'oeuvre, la fonction environnementale et la fonction sociétale. Or, la forêt bretonne est composée de 72 % de feuillus et de 28 % de résineux. Les résineux fournissent 90 % des sciages, ce qui veut dire que la fonction productive est quasi exclusivement résineuse. De ce point de vue, on peut dire que la forêt bretonne est à ce jour en déséquilibre structurel entre une ressource disponible en abondance (feuillue) peu demandée et une ressource en diminution (résineuse) très demandée par les industries de transformation (scieries). Nous dirons qu'à ce jour les fonctions environnementales et sociétales sont davantage assumées par la forêt feuillue, sans que de ces points de vue la forêt résineuse ne démérite, tandis que la fonction productive est du ressort de la forêt résineuse.
Pourquoi la part de feuillus augmente-t-elle et quelles en sont les conséquences ?
B. M. La forêt feuillus augmente de 3 000 haan sous forme d'accrus sans valeur ni avenir sylvicole qui poussent sur des superficies en déshérence. Le problème de la forêt feuillue est que sa valorisation en bois d'oeuvre est marginale. Sauf quelques exceptions, les feuillus bretons sont dits "de qualité secondaire" (hétérogène, conformation irrégulière) et ils n'ont pas trouvé leur marché. Actuellement, le potentiel de la ressource feuillue réside dans le bois énergie. Cependant celui-ci souffre du manque de débouchés (manque de chaufferies) et - concernant le bois "bûche" - affronte la concurrence des granulés (à base de résineux...). Par contre, n'insultons pas l'avenir, des progrès dans les processus de transformation ainsi que des améliorations dues à la génétique sont susceptibles d'entretenir l'espoir d'une future ressource de bois de qualité assurant une valorisation plus conséquente de la ressource feuillue.
Le développement du résineux est-il compatible avec les enjeux sociétaux de la forêt bretonne ?
B. M. La totalité de l'eau embouteillée dans le Finistère est captée en massif résineux ! Si parmi les enjeux sociétaux on situe l'emploi, le développement des résineux est non seulement compatible mais représente un impératif catégorique. La filière compte 20 000 emplois et il est facile de comprendre que ces emplois sont majoritairement dans la forêt qui bouge, qui se plante, qui s'entretient, qui est exploitée et dont les produits sont commercialisés.
Indirectement, vous faites sans doute allusion à l'acceptation sociale des plantations résineuses. Rappelons que la conduite et l'exploitation de résineux, c'est cinq jours d'exploitation "machines" (abatteuse + débardeuse) sur quarante années... Plus sérieusement, cette réticence est le résultat d'un bashing anti-résineux pendant trente ans de la part des environnementalistes. Leur tâche devrait aujourd'hui se compliquer du fait que dans l'objectif d'une économie bas carbone, du point de vue des matériaux il n'y a pas grand-chose en magasin et que le bois transformé en matériau est en Bretagne à 90 % résineux.
Vous suggérez une politique forestière plus dynamique, l'acompagnement actuel via le plan Breizh forêt n'est donc pas suffisant ?
B. M. Le plan Breizh forêt a pour vocation de regonfler la ressource résineuse (perte de 10 000 ha en 20 ans). L'appétence de l'industrie pour les résineux ne doit rien au hasard. En effet, la ressource résineuse de plantation, caractérisée par des cycles courts, dont la coupe et le débardage sont mécanisés et qui est adaptée à un process de transformation à forte productivité, est la seule capable d'affronter, sur la plan des coûts de revient, la concurrence des matériaux "carbonés".
Ce qui est en jeu, dans Breizh forêt, c'est la capacité de la Bretagne à produire dans le futur ses propres éco-matériaux, avec à la clé des milliers d'emplois non délocalisables. C'est dire qu'il faudra se donner les moyens de la réussite d'un plan Breizh forêt si on veut assurer l'approvisionnement de l'outil industriel qui s'est calibré sur une ressource résineuse implantée à partir des années soixante. Ces implantations ont prouvé que la Bretagne avait un potentiel forestier de bois d'oeuvre. Sans cette ressource et l'outil industriel qui en est le prolongement, il n'existait pas de filière bois significative en Bretagne.
Au bout du bout, le danger est que par manque de lucidité et de conviction, on glisse vers la sanctuarisation d'une forêt bretonne dans ses fonctions environnementales et sociétales et que les "écomatériaux bois" nous arrivent des forêts de plantation du nord de l'Europe.