Revenir à la préférence communautaire

Président national de la Coordination rurale,
céréalier et producteur de poulets label dans le Gers
Vous qui parcourez actuellement la France à l'occasion des AG départementales de la Coordination rurale, quelle est l'ambiance dans les campagnes ?
Bernard Lannes. 70 % des agriculteurs sont actuellement dans le rouge. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est le CERFrance. Lait, porc, céréales... : toutes les productions sont touchées. Et, si on ne fait rien, ce sont les 35-45 ans, ceux qui ont restructuré leur exploitation, qui vont disparaître.
Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de l'ampleur de la crise ?
B.L. Au Salon de l'agriculture, François Hollande comme Manuel Valls ont eu le même discours : la crise sera longue et difficile. Pour le moment, la position de l'Europe semble inflexible, même si une prise de conscience commence à émerger dans certains pays, qui s'inquiètent de la chute du prix du lait : 245 €/1 000 l en Moselle, 220 € en Belgique. Et ce n'est pas la régulation temporaire ou le stockage qui vont nous sauver. Pas plus que les aides mises en place : au mieux, elles compensent 10 % des pertes. Ni la réduction du taux des cotisations sociales : si cette mesure permet de gagner en compétitivité, en approchant des taux de cotisation de nos voisins européens, elle ne va, pour le moment, rendre service qu'aux viticulteurs champenois ! Avec leurs très faibles revenus, la majorité des agriculteurs ne verra pas grande différence.
Alors ? Quelles solutions pour sortir de la crise ?
B.L. Pour vivre de prix plutôt que de primes, il faut changer de logiciel au niveau de l'Europe ! À elles seules, la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et la Pologne pèsent 60 % de la production agricole des 28 pays-membres. Il faut qu'ensemble, elles tapent du poing sur la table et exigent qu'on en revienne à la préférence communautaire ou, comme le disent les Américains, à un "protectionnisme éclairé". Nous n'avons pas vocation à exporter : nos coûts de production ne sont pas compétitifs ! Et n'oublions pas que, globalement, 90 % de ce qui est produit est consommé sur place : le marché mondial, et le prix qui en découle, n'est qu'un marché d'excédent.