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UE-Mercosur : un accord sur le dos de l’agriculture

L’Union européenne et et le Mercosur* ont poursuivi leurs négociations politiques jusqu'au 27 juin, en vue d'un accord commercial, annoncé le lendemain en marge du sommet du G20 au Japon. Comme souvent dans ce type de pourparlers, l’accès des produits agricoles sensibles au marché européen sert souvent de monnaie d’échange pour obtenir des concessions dans d’autres secteurs, notamment celui de l'automobile, priorité allemande. Cet accord là n'échappe pas à la règle. 

Pour le président du groupe de travail viande bovine des organisations et coopératives agricoles de l’UE, Jean-Pierre Fleury, cette négociation est un "scandale". L'UE s’est en effet engagée à ouvrir d’importants contingents d’importations, à hauteur de 99 000 tonnes de viande bovine (graduellement sur cinq ans), au droit de 7,5 %.
Pour le président du groupe de travail viande bovine des organisations et coopératives agricoles de l’UE, Jean-Pierre Fleury, cette négociation est un "scandale". L'UE s’est en effet engagée à ouvrir d’importants contingents d’importations, à hauteur de 99 000 tonnes de viande bovine (graduellement sur cinq ans), au droit de 7,5 %.
© Julia Nigh

"Améliorant" dans certains cas leur dernière proposition, présentée en 2018, pour ces produits agricoles sensibles, les Européens ont notamment offert aux Sud-Américains des contingents tarifaires d’importation pour 99 000 tonnes de viande bovine - dont quelque 40 000 tonnes réservées au Brésil -, 160 000 à 200 000 tonnes de vo-laille, 150 000 tonnes de sucre et 600 000 tonnes d’éthanol.

En échange, l’Union européenne cherchait surtout, dans le secteur agricole, à obtenir un accès satisfaisant au Mercosur pour ses fromages, mais le contingent tarifaire envisagé n’était que de 9 000 tonnes. De plus, la question de la protection des indications géographiques, l’un des principaux "intérêts offensifs" des Européens, n’était pas complètement réglée, car quelques dénominations - italiennes notamment - posaient encore des problèmes. Le dossier des indication géographiques (IG) était par ailleurs "crucial" pour le vin, comme avait tenu à le souligner le 25 juin le comité européen des entreprises vins.

Un "fiasco"

La négociation avec le Mercosur est un "fiasco", un "scandale" pour les éleveurs européens, déplorait le 26 juin, lors d’un entretien avec Agra, le président du groupe de travail viande bovine des organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca), Jean-Pierre Fleury. Ce secteur est, selon lui, "en train de perdre sur les deux tableaux" : le volume du contingent tarifaire d’importation (99 000 tonnes) et ses modalités de gestion (selon un nouveau système impliquant aussi le pays exportateur).

Il rappelle de plus que le Brésil exporte d’importantes quantités de viande bovine sur le marché de l’UE en dehors des contingents qui existent déjà.

"Une occasion historique"

"Nous avons une occasion historique, stratégique, de sceller l’une des ententes les plus importantes de la politique commerciale commune européenne, l’accord d’association avec le Mercosur", ont assuré la chancelière allemande Angela Merkel, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez ainsi que leurs homologues néerlandais, tchèque, portugais, letton et suédois, dans une lettre commune adressée le 20 juin au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Prenant indirectement le contre-pied d’une autre lettre adressée trois jours plus tôt au même président de la Commission européenne par le Président français Emmanuel Macron et les premiers ministres irlandais, polonais et belge pour le mettre en garde contre l’octroi de concessions trop généreuses de l’UE au bloc sud-américain dans les secteurs agricoles sensibles, les sept signataires considèrent que "l’Union européenne ne peut se permettre de céder à des arguments populistes et protectionnistes en matière de politique commerciale" et que "les deux parties doivent être prêtes et disposées à faire quelques concessions finales pour parvenir à cet accord historique". Car, argumentent-ils, le Mercosur "semble déterminé à libéraliser davantage plusieurs secteurs d’une grande importance", notamment "les voitures et leurs pièces détachées, les machines, ainsi que les produits chimiques ou pharmaceutiques".

"Un signal très négatif adressé à l'électorat européen"

Soixante-trois députés européens issus de trois groupes politiques - les verts, les sociaux-démocrates et la gauche unie - ont publié le 20 juin une lettre adressée à Jean-Claude Juncker et à la commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström pour leur faire part de leur inquiétude dans la perspective de la conclusion de l’accord commercial avec le Mercosur, dont ils disent avoir été "informés par la presse". Soulignant notamment les risques pour l’agriculture de l’Union européenne et pour l’environnement, surtout depuis l’arrivée au pouvoir du Président brésilien Jair Bolsonaro, ils s’insurgent contre le fait de n’avoir pas été en mesure d’accomplir récemment leur rôle de surveillance de ces négociations. Selon les signataires, "conclure un accord avec un acteur aussi important de l’agroalimentaire pendant la période constitutionnelle du Parlement enverrait un signal très négatif à l’électorat européen".

Déforestation, climat et accord commercial

Angela Merkel a indiqué le 26 juin vouloir "avoir une discussion claire" avec le Président brésilien Jair Bolsonaro au sujet de la déforestation au Brésil à l’occasion du sommet du G20 au Japon, excluant cependant toute remise en cause de la conclusion de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur. L’expansion des activités agricoles au Brésil, fortement soutenue par le gouvernement, se fait au prix d’une déforestation massive et provoque de plus en plus de conflits avec les communautés traditionnelles. Cette situation a poussé en juin 340 ONG, dont Greenpeace et Friends of the Earth, à réclamer, justement, la remise en cause de l’accord avec le bloc sud-américain.

"Je crois que la non-conclusion de l’accord avec le Mercosur ne contribuerait en aucun cas à ce qu’un hectare de moins ne soit défriché au Brésil, au contraire", a déclaré la chancelière allemande, précisant que "ce n’est pas la réponse à ce qui se passe actuellement au Brésil". En revanche, Emmanuel Macron a affirmé le 26 juin que, "si le Brésil devait quitter les accords de Paris (sur le climat), nous, on ne pourrait pas signer des accords de commerce avec lui". "Pour une raison simple", a déclaré le Président français : "On demande à nos agriculteurs de sortir des pesticides, on demande à nos entreprises de moins émettre […]. On ne va pas dire du jour au lendemain qu’on fait rentrer des denrées d’un pays qui ne respecte rien".

Oui mais voilà, cette fois l'accord est bel et bien signé.

 

*Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay.

 

 

Phil Hogan tente de justifier les concessions de l'Union européenne

"Il ne faut pas nier que nous avons dû faire des concessions importantes pour parvenir à un résultat équilibré et ambitieux", a dû admettre le commissaire européen à l’agriculture Phil Hogan. Un accord jugé catastrophique par les organisations agricoles de l’UE - et aussi par les écologistes - qui ont dénoncé notamment l’ouverture du marché européen de denrées produites selon des critères environnementaux et sociaux bien moindres. Phil Hogan a tenté de rassurer en précisant que ces importations devront "respecter les normes strictes de l’UE en matière de sécurité alimentaire", que l’accord "confirme explicitement le principe de précaution" et qu’il prévoit des "mesures de sauvegarde" en cas d’augmentation soudaine des importations susceptible de causer un préjudice grave au secteur concerné. "La Commission est également disposée à aider les agriculteurs à procéder (aux ajustements nécessaires), avec un soutien financier pouvant atteindre 1 milliard d'euros en cas de perturbation du marché", a-t-il également promis.

En échange de ses concessions, dont le but était notamment d’obtenir l’ouverture du marché du Mercosur pour les produits industriels européens, les voitures en premier lieu, l’UE a obtenu des quatre pays sud-américains, parmi ses "intérêts offensifs" agricoles, la protection de 357 indications géographiques, l’ouverture de leur marché pour un contingent de 30 000 tonnes de fromage avec des droits réduits à zéro sur 9 ans ainsi que l’abolition à terme de leurs droits sur le vin.

Mais l'UE s’est ainsi engagée à ouvrir d’importants contingents d’importation tarifaires pour une série de produits sensibles, notamment : graduellement sur 5 ans, 99 000 tonnes de viande bovine (quelque 44 000 t étant réservées au Brésil) dont 55 000 t de viande fraîche et réfrigérée et 45 000 t de viande congelée pour la transformation, au droit de 7,5 % ; sur 5 ans également, 180 000 t de volaille à droit nul ; 180  000 t de sucre à droit nul ; sur 5 ans, 650 000 t d’éthanol (dont 450 000 t pour l’industrie chimique), avec un droit de 6,4 €/hl pour le produit non dénaturé et de 3,4 €/hl pour le produit dénaturé.


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