La méthanisation, bonne pour la planète ?
Eau, air sol…, quels services ou pas, leur sont rendus par la méthanisation agricole ? Vaste question que celle des aménités et de leur évaluation, abordée jeudi dernier lors de la version digitale du salon Biogaz, Bio360Week. Car outre l’enjeu d’acceptabilité sociale, la filière aurait beaucoup à gagner en maximisant les bénéfices environnementaux qui dépendraient des pratiques agricoles.

"La filière méthanisation est une filière complexe", Cécile Fredericq déléguée générale de l’association France Gaz Renouvelable (FGR) ne le cache pas. Difficile de faire simple pour ce processus inscrit dans une logique "d’économie circulaire, au carrefour des mondes de l’énergie, de l’agriculture et des déchets". Ses externalités sont nombreuses et "globalement positives", estime la représentante de l’association, dont le centre de gravité agricole, ambitionne de faire de la méthanisation "un levier important de l’agroécologie et du développement de la transition écologique à l’échelle des territoires", et pourquoi pas avec rétribution de ses aménités à la clé.
Réduction des GES
En substituant par du biométhane les énergies fossiles, en utilisant le digestat en lieu et place de l’azote minéral, en réduisant les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) des effluents d’élevage, et celles évitées par le traitement alternatif des déchets, sans compter l’augmentation du stockage de carbone du sol lié aux pratiques agricoles (Cive ou Cipan), "on réduit les GES à plusieurs niveaux", inventorie Sylvain Frédéric, responsable R&D biométhane chez GRDF, (Gaz réseau distribution de France). Cet expert a copiloté 18 mois le groupe de travail GES du Comité Stratégique Filière, "pour avoir des expertises". Pour quantifier le service rendu sur l’émission de GES, quatre méthodes existent : "toutes convergent vers la réduction", appuie-t-il, même si elles sont variables, allant de 23 à 44 kgCO2/mWh évités. Un outil d’évaluation pour les porteurs de projet est en cours de finalisation, "il va permettre suivant la nature des intrants, des pratiques d’épandage, le gaz naturel produit, d’évaluer la quantité de CO2 non produite par an. Suivant les projets, c’est entre 1 000 et 2 000 tCo2eq", avec label à la clé, type Label Bas Carbone. Des économies ou crédits d’émission pourraient être acquis par des émetteurs s’achetant une neutralité carbone. François Trubert, agriculteur méthaniseur, au travers de l’outil Cap2R, en a mesuré l’impact chez lui, à Gevezé (35) : 60 teqCO2 économisées. "Nous sommes en attente d’un outil de calcul et pourquoi pas de valorisation du carbone gagné", souligne ce membre de l’AMF association des méthaniseurs de France. Mais à raison d’un marché carbone qui, à l’heure actuelle rémunère au maximum à 30 euros la tonne, le crédit espéré serait de 2 000 euros...
Nous sommes en attente d’un outil de calcul et pourquoi pas de valorisation du carbone gagné.
Eau et pratiques agronomiques
Si sur le sol, les études manquent cruellement pour trancher selon Safya Menasseri-Aubry d’Agrocampus Ouest, sur la qualité de l’eau, le consensus scientifique n’existe pas. Et subsistent de nombreuses interrogations qui "dépendent à la fois des pratiques et des contextes pédoclimatiques", situe Armelle Damiano, responsable du secteur biogaz de l’Association Aile. Elle a présidé le groupe de travail eau du Comité Stratégique Filière. Travail dont sera issue prochainement une synthèse qui confirme la nécessité d’aller plus loin. Ce qui ne fait pas débat ? "Les digestats présentent un risque de lixiviation similaire aux produits résiduels organiques classiques et les risques sont influencés par les pratiques agricoles", appuie la porte-parole. L’arrivée d’une unité de méthanisation a des répercussions sur les pratiques d’épandage dans la zone concernée, vigilance donc, la couverture des sols et les cultures intermédiaires sont utiles. En France, la méthanisation peut favoriser l’introduction de Cive, "contribuant à diversifier les assolements, c’est plutôt bénéfique pour la qualité de l’eau". Mais avec des réserves sur les effets induits, notamment "l’augmentation de l’assolement en maïs impliquant le retournement des prairies, très dommageable pour la qualité de l’eau", inventorie Armelle Damiano avec une crainte de simplification des systèmes. Une chose reste sûre, "le respect des bonnes pratiques d’épandage minimise les risques par rapport à l’eau". Le retour d’expérience de François Trubert est clair, "on a diminué de 60 % l’achat d’engrais minéral. Avec notre digestat, nous avons un produit homogène, homologué, dont on connaît parfaitement la valeur, suivant la fatigue azotée, on apporte l’azote solide ou liquide, au pied de la plante avec une phase de minéralisation avancée qui participe à la bonne qualité d’eau", estime l’énergiculteur d’Ille et Vilaine.
Air, attention aux fuites d'azote
"L’externalité peut être potentiellement négative si on ne limite pas les fuites d’azote sur la filière", met en garde Romain Girault de l’Inrae. Où agir le plus efficacement pour limiter l’impact ? "Lors du stockage, c’est 25 % des fuites totales et lors de l’épandage, c’est 50 %", pointe-t-il. Pour minimiser ces risques au stockage du digestat, il faut réduire la surface d’échange avec l’air : la couverture s’impose. Elle est soit naturelle par "croûtage et ce sont 30 à 40 % des émissions supprimées", ou en bâchant, "moins 60 à 80 %". Idem à l’épandage pour limiter le contact du digestat et de l’air : "en accélérant son infiltration et en diminuant la vitesse de volatilisation". Être performant sur l’ammoniac, revient à combiner des solutions techniques (éviter la buse palette !), des pratiques, et savoir-faire à différentes étapes : enfouir, travailler à température basse, en condition humide et peu ensoleillé, par vent faible, sans souiller le feuillage... "C’est multifactoriel, tout est dans les mains des exploitants", encourage Romain Girault.
Pratiques plus vertueuses
Les méthaniseurs se disent de leur côté ouverts à s’engager sur des rotations ou des pratiques d’épandage plus vertueuses, en contrepartie d'une limitation de la baisse attendue des tarifs du biogaz. "Demain, à budget égal voire inférieur au niveau national, la transition agroécologique pourrait offrir un financement complémentaire, afin de conserver au total le même prix de rachat", estime Jean-Marc Onno, vice-président de l’AAMF, auprès d’Agra Presse.
Les syndicats agricoles entendus au Sénat
Les sénateurs ont entendu la semaine dernière les organisations syndicales sur le sujet de la méthanisation. Pierre Cuypres, président de cette mission d'information, explique que les élus, à travers ces auditions, "cherchent à mesurer les avantages et les inconvénients de cette production énergétique, les risques environnementaux, et l'impact sur les pratiques agricoles". Olivier Dauger, administrateur en charge du changement climatique à la FNSEA est le premier à s'exprimer : "la filière est récente et de nombreux calages restent à définir, notamment sur la durabilité de la méthanisation, le droit à l'irrigation - nous estimons que nous aurons plus besoin de l'irrigation pour l'alimentation au vu du réchauffement - et les normes de sécurité sur les intrants (boues des stations...) et les conditions d'épandage". Même son de cloche de la part d'Alain Sambourg, représentant de la Coordination rurale qui pour défendre les projets en place, notamment en Ile-de-France, va plus loin en estimant que "si l'irrigation doit être interdite, elle doit l'être sur les projets futurs pour permettre à ceux qui ont investi de payer leurs traites. Certains méthaniseurs à injection ont une très faible rentabilité, il faut les protéger sans quoi ça sera la catastrophe". Le prix de vente du gaz est une valeur décisive dans le maintien des projets. Le représentant de la FNSEA affirme "qu'il faut arrêter de comparer les prix du gaz naturel et du gaz renouvelable. Nous devons trouver un équilibre en se référant au mix énergétique du carburant à horizon 2040. Donner de la perspective avec des tarifs raisonnés permettra aux agriculteurs de prendre le temps de construire des projets qui s'intègrent dans leur système d'exploitation et d'éviter les effets d'aubaine qui profiteraient aux projets industriels déconnectés du territoire". Plus prudent sur l'intérêt du développement de cette énergie, Georges Baroni, responsable de la commission énergie à la Confédération paysanne estime "qu'au-delà de l'enjeu de la sortie des énergies fossiles, l'essentiel est l'impact sur le changement climatique. Nous avons demandé un moratoire pour prendre le temps d'analyser les émissions de gaz à effet de serre (GES). Prendre du carbone au sol pour produire de l'énergie qui émet des GES, où est le bilan positif ?". Le syndicat reste malgré tout favorable au déploiement des méthaniseurs à la ferme répondant aux besoins de l'exploitation dans les limites qu'elles couvrent. Des propos entendus par le reste de l'assemblée qui souscrit à une méthanisation à taille agricole, c'est-à-dire assumée par des capitaux agricoles. / Hélène Bonneau - Terra