Bien-être en poulet de chair, l’équation impossible ?
Danger ou opportunité ? La question du bien-être est au coeur des préoccupations de la filière avicole. Quelles évolutions et freins pour que la production de poulet en France réponde aux attentes du citoyen ? Mais quelles attentes en fait ? L’Institut technique avicole (Itavi) a organisé le débat au Space.

L’application en 2026 de l’European Chicken Commitment (ECC) et l’entrée des ONG welfaristes, prescriptrices de la construction des cahiers des charges de production, ont bousculé la donne. Et l’étiquetage pointe déjà son nez. "C’est significativement plus exigeant avec des surcoûts importants par rapport à la réglementation de base européenne", analyse François Cadudal de l’Itavi avec "des opérateurs aval poussés à s’engager, sans retour en arrière possible. C’est le même schéma qu’en oeuf", prévoit-il. De fait, poulets certifiés, labels ou bio répondent déjà aux obligations mais ils ne représentent que 15 % de la consommation hexagonale. Sur les 80 % restant en standard, "50 à 55 % sont importés". La marge est donc étroite pour les 40 % concernés : "il y a de vraies attentes de solutions sur la segmentation 1er prix des GMS, le cahier des charges ECC est clairement inadapté et beaucoup d’incertitudes subsistent sur la répartition de la valeur jusqu’au consommateur", résume ce spécialiste qui estime que d’autres sujets préoccupent déjà le citoyen-consommateur ; le changement climatique, le sans substances controversées, l’emballage plastique, la question de l’origine… "Le bien-être ne répondra pas à toutes ces problématiques", met-il en garde.
La souveraineté alimentaire, il n’y a rien de plus RSE que ça !
Pour quels besoins comportementaux ?
Mais qu’en est-il des besoins du poulet ? Si les besoins physiologiques sont respectés en élevage, les besoins comportementaux ont été passés à la loupe. Le volatile plutôt grégaire, est actif 14 heures par jour, passant 12 heures à chercher sa nourriture, dont 7 à picorer et 5 à gratter le sol, adepte d’une demi-heure par jour du bain de poussière et passant sa nuit perché. Mêmes observations en condition d’élevage par l’éthologue Aurélie Varin. "S’ils peuvent aisément se toiletter ou s’ébouriffer, étirer ailes et pattes, se déplacer et interagir, jouer, prendre des bains de poussière, se percher, en revanche explorer leur environnement, à la recherche de nourriture n’est pas terrible", a-t-elle observé. Quant au repos ? "Le poulet peut se reposer mais pas de manière qualitative, c’est à dire en hauteur ou proche de cloisons".
Il existe des enrichissements plus intéressants que d’autres pour satisfaire les différents besoins du poulet de chair. Ballots de pailles, blocs à picorer et ficelles sortent du lot.
Pour quelle faisabilité économique ?
Si la feuille de route de l’ECC semble claire, reste un challenge de taille : "sa faisabilité économique", insiste Marc Bessin de Terrena. "Il va falloir être vigilant et ne pas empiler les couches. La lumière naturelle en rénovation c’est plus complexe qu’en construction…, à peine entamée qu’on est déjà sur le jardin d’hiver", constate-t-il. Pourtant, l’impulsion est donnée, "pour la lumière naturelle, on est en pleine transformation du parc. La volonté, c’est une montée en gamme de 85 % de nos éleveurs", situe, pour le groupement Gaevol, Eric Mensuy de Sanders. "Notre premier concurrent à tous c’est l’importation, 50 % du poulet consommé est importé", pointe Dylan Chevalier de LDC s’appuyant sur le socle "nature d’éleveur qui va au-delà des préconisations ECC et répond aux enjeux sociétaux tout en respectant le revenu des éleveurs et la souveraineté alimentaire. Une équation pas simple à résoudre mais qui fédère". Les freins au développement ? "C’est le temps nécessaire de l’élevage", mais ce sont aussi les importations : "50 % ne respectent pas les règles qu’on s’est fixées" et enfin le porte-monnaie qui arbitre : "le comportement entre la discussion citoyenne et l’acte d’achat en rayon est déterminé par le prix".
Vente d'antibio : une baisse de 60,5 % en volaille de chair
Impressionnante est la baisse des usages d’antibiotiques en dix ans en médecine vétérinaire pour réduire les risques d’antibiorésistances. Moins 45,3 % en France, toutes espèces confondues et moins 35 % dans l’Union européenne à 25. En volaille, l'envol de la baisse serait de moins 60,5 %.
Ces chiffres sont si spectaculaires que l’Itavi s’est penché dessus. La réduction est bien "considérable" depuis dix ans dans l’espace européen. Car l’enjeu est clair en médecine humaine. Il s’agit de réduire l’impact des antibiorésistances, "un fléau réel, fardeau équivalent à ceux de la grippe, la tuberculose et le Sida confondus", rappelle Nathalie Roussel, du pôle Santé-Hygiène de l’Itavi. 600 000 infections bactério-résistantes leur seraient imputables, causant 12 000 décès par an en France (2017, Agence Nationale de Sécurité du Médicament). Depuis 2012, des plans de réduction des usages ont été mis en place avec des objectifs de réduction, "largement atteints". Et les évaluations européennes basées sur la diminution des ventes, montrant une réduction de 35 % dans l’UE (à 25 pays) et de 44 % en France, toutes espèces confondues.
Chiffres qui croisent les résultats du suivi français des ventes sur le territoire national, affichant une réduction de moins 45,3 %, toutes espèces confondues et moins 60,5 % en volailles de chair. Pour en avoir le cœur net, un réseau de référence RefA2vi, a donc été créé pour préciser, par espèce, les données, "poulet et dinde étant les deux espèces les plus utilisatrices d’antibiotiques en Europe", note la spécialiste. Sur les 40 % de volailles abattues que couvre en périmètre ce réseau, les données confirment la réduction importante d’usages, moins 32 % en poulet, moins 45 % en dinde. Quant aux antibiotiques dits "critiques" pour la santé, ces réductions vont de moins 29 (poulet) à moins 40 % (dinde) pour les fluoroquinolones et de moins 56 à moins 77 % pour la colistine. "Une baisse énorme", à mettre au crédit "d’efforts conjoints et de la réactivité sur le terrain", dont témoigneront les vétérinaires praticiens en cabinets, groupement et coopératives, avec les éleveurs portant sur l’amélioration de la qualité de la nutrition et de l’eau et les pistes offertes par la phytothérapie, les enzymes, probiotiques ou les huiles essentielles…