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La PAC peut-elle faire de l'UE un leader mondial de la durabilité ?

Pierre Bascou, un des penseurs de la PAC, était mercredi dernier au Space à l'invitation de la Maison de l'Europe. L'occasion pour lui de développer les objectifs que se fixe la Commission européenne, en matière de réforme de la PAC et les moyens pour y parvenir. Une réforme de la PAC dont l'adoption des grandes lignes politiques ne gomme pas le scepticisme lié à la déclinaison des 27 plans stratégiques nationaux, qui risquent d'être autant d'occasions de décisions nationales, voire d'éléments de concurrence. Des arguments que Pierre Bascou bat en brèche parlant de souplesse, de flexibilité et de reconnaissance des spécificités de chaque État membre... avec un objectif central, faire de l'Europe un leader mondial de la durabilité.

armi les six objectifs de la stratégie De la ferme à la table, 10 % des terres devront être allouées aux éléments de paysage, de haute diversité.

Depuis 1992 pas moins de cinq réformes de la PAC se sont succédé, celle de 2021 sera la 6e. Pierre Bascou a pratiquement suivi toutes les réformes, c'est dire s'il maîtrise le sujet. Mais cette réforme là est un peu particulière dans ses fondements dans la mesure où elle s'inscrit dans un objectif plus général qui est d'aider l'agriculture à contribuer à répondre à des grands objectifs environnementaux, sociaux, sociétaux, et de production.

 

Stratégie de la ferme à la table

La stratégie de la ferme à la table est en quelque sorte le socle du cahier des charges qui a contribué à définir la nouvelle PAC. Elle se décline en six grands objectifs politiques qui ne sont pas juridiquement contraignants mais qui devront être traduits en action par chaque Etat dans les fameux Plans stratégiques nationaux.
Les six grands objectifs sont assez clairs dans leur descriptif. Il s'agit d'obtenir une baisse de 50 % de l'utilisation, et des risques des pesticides, et diminuer de 50 % les pesticides les plus dangeureux. 25 % des terres de l'UE seront consacrées à l'agriculture biologique. Diminuer de 50 % les ventes d'antimicrobiens pour les animaux d'élevage. Diminuer de 50 % les pertes de nutriments, 10 % des terres devront être allouées aux éléments de paysage, de haute diversité. Enfin atteindre 100 % de couverture haut débit en 2025 en zones rurales. 

Pour la première fois on demande la prise en compte de conditions sociales pour bénéficier des aides PAC, améliorer les conditions d'emploi et respecter les droits des travailleurs.

Une stratégie de croissance

L'ambition de ces grands objectifs décrit Pierre Bascou est "d'assurer la transition vers une agriculture plus durable, dans une grande ambition environnementale et climatique". L'UE est la région au monde qui a le plus amélioré son empreinte carbone ces dernières années, il s'agit donc de faire de l'UE un leader mondial de la durabilité, dans une stratégie de croissance et économique. La PAC est donc l'outil qui doit contribuer à transformer l'agriculture, l'amener à plus de durabilité.
Le premier objectif affiché est social. La Commission européenne tient à ce que les Etats mettent en avant une redistribution plus équitable et un ciblage, un soutien vers l'agriculture familiale. Le ciblage consistera aussi à l'échelle de chaque État à définir ce qu'est un agriculteur actif. Il souligne aussi le fait que pour la première fois on demande la prise en compte de conditions sociales pour bénéficier des aides PAC, améliorer les conditions d'emploi et respecter les droits des travailleurs.

 

Une révolution dans la gouvernance

Ce point illustre le bouleversement général induit par cette réforme de la PAC. Pierre Bascou parle d'une PAC plus verte, plus sociale, pour lui il s'agit bien là d'un changement d'échelle traduit par l'un des éléments les plus novateurs de cette réforme : une révolution dans la gouvernance. Car si les grands objectifs sont bien définis à Bruxelles, leur mise en oeuvre se définit concrètement au niveau de chaque Etat. La responsabilité est partagée par l'écriture des plans stratégiques nationaux qui devront traduire dans les faits les moyens d'atteindre les objectifs. Actuellement 27 plans stratégiques sont en cours d'écriture. Ils devront être terminés pour le 31 décembre 2021. Ensuite la Commission se donne un an pour les négocier avec chaque État.

PAC

Assurer la sécurité, pas l'autonomie alimentaire

Mais comment cela se passera-t-il si les déclinaisons dans chaque État ne permettent pas d'atteindre l'objectif assigné par exemple de réduction de l'utilisation des phytos ? Pour le moment pas de réponse, Pierre Bascou souligne que les objectifs politiques ne sont pas juridiquement contraignants.
Lorsqu'il est interrogé sur le fait que des chercheurs ont chiffré la baisse du potentiel productif de l'UE à 10 %, il répond que l'Europe aura toujours un déficit en terme d'autonomie. D'ailleurs il souligne que même après la crise Covid l'ambition n'est pas d'assurer "une autonomie alimentaire mais une sécurité alimentaire". L'ambition est de produire mieux pas de produire plus.
Pour le fonctionnaire européen cette PAC, c'est un changement de modèle de production, qui va entraîner des changements significatifs, mais il ne répondra pas au président de la chambre d'agriculture du Morbihan qui l'interroge sur ses craintes de voir l'élevage disparaître et sur les conséquences y compris environnementales de cette disparition, car si le texte de présentation de la PAC parle de stratégie d'amélioration du revenu pour les agriculteurs, la déclinaison de ce principe reste très floue.
Pour Pierre Bascou la France a tout à gagner à cette nouvelle orientation, elle a l'image de marque mais elle doit prendre le virage de la qualité et de la durabilité. Le président de la FDSEA du Finistère lui fait remarquer que déjà notre agriculture a pris ce virage et qu'il conviendra d'intégrer les efforts déjà réalisés dans le calcul de l'atteinte des objectifs... Les PSN ne sont pas encore écrits !

 

Une nouvelle étude alarmiste

La stratégie européenne De la ferme à la table pourrait entraîner une baisse de production dans l’UE d’environ 20 % pour les grandes cultures et le bœuf et une hausse des prix qui pourrait atteindre 60 % pour certaines productions, alertent dans une nouvelle évaluation publiée le 13 septembre des associations agricoles allemandes (réunies au sein de l’alliance Grain Club), ainsi que le Coceral (commerce européen des grains) et le Fediol (industrie européenne des oléagineux).
Ce travail mené par le professeur Christian Henning, directeur de l’Institut d’économie agricole de l’université de Kiel, estime la diminution de la production à -20 % pour la viande bovine, -6,3 % pour le lait, -21,4 % pour les céréales et -20 % les oléagineux. Le nombre d’animaux serait réduit de 45 % pour les bovins d’engraissement et de 13,3 % pour les vaches laitières et les jeunes bovins.
Les superficies consacrées aux céréales et aux oléagineux reculeraient de 2,6 % et 6 % respectivement.
Parallèlement, les prix des produits agricoles dans l’UE augmenteront : +58 % pour la viande bovine, +48 % pour la viande porcine, +36 % pour le lait, +18 % pour les oléagineux et +12,5 % pour les céréales. C’est l’objectif de réduction de 50 % de l’usage des engrais qui aurait l’impact le plus important sur ces baisses. Et, prévient aussi l’étude, ces réductions seront en partie compensées ailleurs dans le monde alors que "le territoire de l’UE offre d’excellentes conditions pour la production de gros volumes de denrées alimentaires de haute qualité".

 

L'élevage à l'épreuve des politiques publiques

L'Inrae planchait jeudi dernier sur l'élevage et l'impact des politiques publiques. Plus on avance dans le temps plus les politiques publiques veulent viser des objectifs différents au risque d'embrasser des visées contradictoires.
Ainsi plusieurs études ont démontré que réduire drastiquement les pesticides aggrave la pression sur le climat ! 
Un scénario théorique de conversion à 100 % à l'agriculture  bio en Angleterre a été mené. Il amènerait dans un premier temps à réduire l'utilisation des phytos, et les émissions des GES britaniques. Mais il amènerait rapidement une augmentation des GES du fait de l'augmentation d'importations plus intensives en production
Une étude similaire conduite en France basée sur une hausse de 50 % d'une taxe sur les pesticides, se traduirait par une baisse de 37 % des ventes de phytos, une baisse de 5 à 10 % des productions végétales, de 2 % des productions animales mais par 9 MT de CO2 supplémentaires (+10 % des émissions agricoles Françaises) du fait de la hausse des importations, et par une accélération de la déforestation en Amérique du sud.
L'Inrae souligne le fait que le plus souvent climat et biodiversité sont des objectifs concurrents pour l'agriculture européenne. Il estime que la PAC 2023 ne sera sans doute pas à la hauteur des défis notamment climatiques environnementaux et sociétaux et que cette réforme en appellera très vite une autre. Autre question, quelle sera la capacité de la Commission européenne à harmoniser les plans stratégiques nationaux et à sanctionner les États ?

 

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