Nommer les raisons du découragement

En Bretagne, la fin des quotas laitiers a constitué craintes et espoirs : crainte de l’effet brutal de la dérégulation et de la volatilité des prix, espoir de sortir d’un étau vécu notamment par la génération qui s’est installée sous contrainte au milieu des années 80. C’est cette génération qui voit arriver l’étape de la cessation d’activité et de la transmission. Le renouvellement des générations au temps des transitions, c’est penser les questions économiques et sociales, et les questions environnementale en même temps.
Aujourd’hui notre bassin de production régional qui conjugue pourtant de nombreux atouts pour être une grande région de polyculture-élevage n’est pas à l’abri d’un recul de sa production et de l’approvionnement de ses principales filières.
La Bretagne, région de 3,4 millions d’habitants en nourrit 20 millions. Les producteurs en sont les premiers artisans. Paradoxalement, alors que l’alimentation est socialement et médiatiquement très valorisée, ceux qui la produisent restent peu reconnus et peu rémunérés.
Pour au mieux préserver leur revenu, la majorité des éleveurs a considérablement augmenté sa production par unité de travail. Année après année, cette faiblesse de rentabilité et de revenu alimente le découragement de ceux qui ont investi, cru au progrès et à la possibilité de transmettre dans de bonnes conditions leur outil de production. L’état des lieux sur nos principales filières régionales lors des états généraux de l’alimentation en Bretagne en Septembre 2017 montrait clairement cette évolution et cette adaptation permanente des producteurs.
En pleine période électorale, l’agriculture bretonne est toujours sous les feux des projecteurs passant souvent sous silence nos efforts permanents depuis 30 ans sur la réponse aux attentes environnementales et sociétales. La force des images et des commentaires cristallise l’attention. Mais n’en faisons pas l’arbre qui cache la forêt. La faiblesse des prix et des revenus est une raison de découragement et d’épuisement bien plus puissant. Les industriels privés ou coopératifs de l’agroalimentaire ne doivent pas s’en servir pour détourner l’attention, ils doivent prendre au sérieux la fatigue physique et mentale des producteurs qui les fournissent. La matière première et la façon dont elle est produite a un prix aux yeux des consommateurs. Il suffit de décrypter les publicités alimentaires. Ce sont nos vaches dans les champs, ce sont les éleveurs et leur famille qui rassurent qui sont retenues dans les campagnes publicitaires. Le travail et les pratiques des producteurs ont donc une valeur. Le projet de loi EGALIM 2 doit vraiment aller plus loin sur cet enjeu.
Passer du découragement à l’encouragement nécessite que nos entreprises d’aval cessent de penser que le lait, la viande, les œufs seront toujours disponibles. La façon dont de nombreux porteurs de projets abordent aujourd’hui leur entrée dans le métier et leur mode de commercialisation est plus qu’un signe faible, c’est un changement profond. Ils n’ont pas envie d’être de simples sous-traitants dont la rémunération serait la variable d’ajustement. Ils seront les acteurs des transitions, et à ce titre, ils sont nos raisons de leur préparer un avenir enviable.