Nouvelles technologies : la data remplacera-t-elle les agriculteurs ?
Plus de 2,5 milliards de données sont produites chaque jour. La data a envahi notre quotidien mais aussi le monde agricole. Face à la datafication de l’agriculture se pose alors la question de la gouvernance de la donnée ? Et si demain les machines remplaçaient les hommes ? Pour y voir plus clair, explications avec plusieurs chercheurs et entrepreneurs, réunis par Metalaw.

L’agriculture traîne souvent une image "arriérée", elle n’est pourtant pas en reste en matière de technologie et d’outils numériques. Elle génère beaucoup de données issues de logiciels de suivi d’élevage, de capteurs connectés, d’OAD, de robots... devenues de véritables aides à la décision dans la gestion des cultures, des troupeaux ou encore dans l’agroéquipement… Lorsque ces données sont collectées en masse à l’échelle de nombreuses exploitations, on parle alors de big data. Ce qui permet aux agriculteurs de se comparer entre eux, d’anticiper les interventions et d’optimiser leur système d’exploitation. Mais ces données finiront-elles par dépasser l’homme, au point de le remplacer ? Une réflexion que plusieurs chercheurs et entrepreneurs spécialisés dans les nouvelles technologies ont menée lors d’un atelier organisé le 18 mai dernier, par le cabinet d’avocats Metalaw, en partenariat avec l’agence de stratégies d’influence Gen-G, sur le thème de la data et l’agriculture.
La data est l’engrais de l’agriculture durable
La data c’est quoi ?
En agriculture, la data est générée par trois grandes catégories de sources ; la donnée parcellaire, renseignée notamment dans le cadre des démarches réglementaires (TéléPAC, cahier de ferti…),les machines agricoles équipées de capteurs (RTK, robots de traite…) et enfin les objets connectés (station météo, boucle DAC, drone…). A ce jour, ces données ont trois principaux usages ; rendre visible l’invisible (l’hydrométrie, niveau de parasitisme...), permettre d’observer l’hétérogénéité au sein d’un troupeau ou d’une parcelle et de générer des "modèles prédictibles" dans les domaines de la génétique ou de l’agronomie par exemple. Aujourd’hui, seuls 90 000 exploitants français sur les 350 000, utilisent des outils de gestion numérique. De plus, sur ces exploitations connectées, moins de 10 % utilisent réellement et assidûment ces outils et participent à la remontée de données. Une tendance qui tend, tout de même, à se développer.
Agriculteur, au cœur des décisions
Malgré le développement et l’efficient de plus en plus avérée des outils connectés et des modèles d’analyse, tous s’accordent à dire que "la machine ne remplacera jamais l’homme", et ce, pour plusieurs raisons. Pour Christian Huygue, directeur scientifique à l’Inrae, "ce qui sépare la donnée et l’intelligence artificielle de l’humain, c’est l’émotion et le fait d’être capable de gérer les aléas avec anticipation". A la différence de la data, un humain a une culture et des envies. "C’est cette diversité d’individus qui construit la richesse et la diversité du monde agricole", ajoute-t-il. Mais de par l’évolution des exploitations, des systèmes agricoles et la raréfaction de la main d’œuvre, la data s’avérera demain être une véritable aide à la décision pour sécuriser les approches, la traçabilité, le suivi de performance de l’individu ou du groupe (ex : en élevage porcin, suivi de la truie et du lot). "Elle permet à l’agriculteur de développer son business model, d’innover et de devenir un chef d’entreprise plus performant", illustre François-Xavier Petit, qui prend pour exemple Matrice, institut d'innovation technologique et social dont il est le directeur et qui se fixe pour objectif d’accompagner les néo-agriculteurs afin de développer des modèles agricoles innovants qui participent à la lutte contre le réchauffement climatique, ou qui réinventent le local.
La gouvernance de la data
A ce stade, il est temps de parler de souveraineté de la donnée. Il semble indispensable que l’agriculteur, générateur de la donnée, puisse donner son consentement à partager et échanger celle-ci avec d’autres collègues, partenaires... Gardons en tête que c’est la massification des données qui enrichira demain les bases de données qui permettront de développer de nouveaux services et de nouvelles technologies. Il faudra donc élaborer de nouveaux modèles de partage et d’ouverture de la donnée à l’échelle d’un territoire afin de contribuer à l’avenir d’une agriculture plus performante et durable.
Et demain...
Le développement exponentiel de la technologie, de la robotique et des capteurs capables de mesurer de plus en plus d’indicateurs laisse à penser que l’agriculture sera demain de plus en plus connectée. Mais il est encore tôt pour dessiner cette agriculture "numérique". "Ce qui est sûr, c'est qu'elle sera productive, respectueuse de l'environnement, ses impacts seront estimés, et elle sera socialement acceptable par les citoyens et les agriculteurs ", conclut Christian Huyghe président du programme Agenae de l’Inrae. Beaucoup de solutions viendront d'entreprises, de start-up, qui créent et créeront à partir de ces données des services innovants permettant d’optimiser l'efficience économique et environnementale des exploitations et renforceront la traçabilité.
Eilyps : la data collectée et partagée pour plus d’efficience
Depuis plusieurs années déjà, Eilyps propose un outil de collecte de données permettant un suivi en temps réel des performances du troupeau, appelé Breeder. La mise à jour est quotidienne et permet de partager les données d’élevage directement avec son conseiller, pour une intervention efficace et rapide. Cet espace permet d’avoir accès à la fiche carrière de chaque individu, les données repro, l’historique du troupeau, alerte santé. "Nous sommes plusieurs sur le Gaec et utilisons cet outil pour communiquer entre nous, notamment grâce à la version smartphone qui nous permet d’ajouter directement en salle de traite les infos spécifiques à chaque vache", explique un éleveur lors de l'assemblée générale de l'entreprise. "Nous l'utilisons pour la préparation au vélage par exemple, le logiciel nous alerte des dates", ajoute-il. Cet outil est aussi collaboratif, puisqu’il est dorénavant possible depuis le 1er juin, sur acceptation de l’éleveur, de partager les données avec son vétérinaire, grâce à la mise en place d’un partenariat Eilyps et les services vétérinaires. Il sera ainsi possible de compiler les données des cahiers sanitaires Breeder et Vetélevage (outils de suivi de troupeau) comprenant les ordonnances vétérinaires et les données reproduction... permettant ainsi de simplifier le quotidien de tous les acteurs sur le terrain en facilitant les échanges et le partage de données afin d’éviter toute ressaisie. Ce rapprochement entre les deux structures permettra également un partage des compétences sur les thèmes de la reproduction, les boiteries, la qualité du lait ou encore les veaux et engendrera le développement de services en commun.