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Pologne, une volonté de revanche

Après quelques siècles d’invasions souvent barbares, les génocides nazi et russe durant la Seconde guerre mondiale puis le joug de l’empire soviétique pendant 44 ans, la Pologne respire enfin, même si elle garde un profond traumatisme. Il a fallu l’entrée dans l’Union européenne, en 2004 pour voir le pays décoller économiquement et avoir aujourd’hui l’une des croissances du PIB les plus importantes d’Europe. Néanmoins, la grande majorité de l’agriculture est restée absente de ce développement, comme immobile sur le chemin de la croissance, avec plus d’un million d’exploitations de moins de 3 ha.

premier producteur avicole européen, la pologne a développé un savoir faire impressionnant.
© Christophe Dequidt

Que de chemin parcouru depuis ce 1er mai 2004, date d’entrée dans l'Union européenne. Un événement qui avait été précédé par un autre, aussi important pour les Polonais, l’entrée dans l’Otan en 1999. De cette Pologne proche du seuil de pauvreté, dont les principales forces vives s’expatriaient pour survivre en vendant leur force de travail, il ne reste plus grand-chose. Le pays connaît aujourd’hui l’une de plus fortes croissances de PIB en Europe, + 5 % en moyenne triennale, et le taux de chômage le plus bas, avec moins de 3 %. C’est d’ailleurs un véritable phénomène de société car il existe une recherche de salariés récurrente non satisfaite, la compensation venant de l’Ukraine voisine.
La Pologne se sent protégée de la Russie, l’envahisseur historique et redouté. Même si elle continue à penser que seuls les Etats-Unis seraient en capacité de les défendre contre l’ogre russe, ils profitent largement de la manne européenne. Alors Le populisme actuel dont nous parlent les médias semble être un leurre. Il fait partie de la tradition et permet de s’affirmer. Bien sûr, Il existe de la rancœur : on reproche encore à l’Europe de l’Ouest la trahison de Napoléon du début du XIXe siècle ou le manque de compassion et d’aides concrètes après la chute du mur de Berlin. Mais, pour rien au monde, ce peuple n’engagerait des démarches du type "Polixit", un Brexit à la polonaise.

Pologne

Vive l'agriculture, mais sans odeur

Quand on a eu faim, que le souvenir des queues à la porte des magasins est encore très vivace, on respecte la nourriture. Cette douloureuse histoire a donné aux Polonais la notion de respect de ses paysans. Les citadins adorent les petits plats préparés par les mamies, considérés comme bio car respectueux de la tradition de culture et d’élevage. Mais les temps changent et, comme ailleurs, on commence à s’embourgeoiser. Bon nombre de citadins achètent une petite maison à la campagne et commencent à trouver que ces paysans troublent leur petit confort. Ce qui les gêne, ce n’est pas l’utilisation des produits de protection des cultures, mais l’odeur des épandages de lisier, surtout issu de l’aviculture, dont la Pologne est le premier pays producteur européen.
Les agriculteurs sont jalousés parce qu’ils touchent un pactole de l’Europe alors que les autres citoyens n’en reçoivent pas. Comment comprendre alors qu’ils veulent en plus des prix de produits élevés, les Polonais achetant par excellence à des prix discount ?
Les paysans ont bien compris qu’il fallait développer une agriculture de qualité. Elle se limite aux 5 % de fermes qui cultivent plus de 30 ha et qui exportent. On y retrouve de l’agriculture de précision, un début d’agriculture de conservation des sols et un suivi sanitaire des élevages. Les autres, 90 % des exploitations ont moins de 4 ha, se contentent d’une agriculture de subsistance avec, pour certains, des livraisons par petits camions, en faisant du "porte à porte" dans les villes pour vendre en direct quelques légumes ou un peu de viande.

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Une église omniprésente

Symbole dans la lutte pour la liberté du peuple en 1989, sublimée par l’élection du pape Jean-Paul II, l’Église joue un rôle prépondérant dans la vie politique et sociale du pays. A la libération et la privation des kolkhozes, l’Église s’est vue attribuer un domaine conséquent qui reste secret mais estimé entre 80 000 et 120 000 ha. Elle loue ces terres qui sont, pour elle, un trésor, gage de pérennité. En contrepartie, elle a toujours été proche et solidaire avec le pouvoir. Son aura auprès de la population rurale, à 95 % catholique, en grande majorité pratiquante, est réelle.

 

 

Le pays en chiffres :

Superficie : 312 680 km² soit de 57 % de la France
SAU : 10,8 millions d’ha, l’équivalent de 60 % de la France
Population : 38 millions d’habitants dont 4,1 % travaille dans le monde agricole
PIB (2018) : 496 milliards € (21 % de la France) dont agriculture 2,1 %, industrie 30,9 %, services 67 %

 

 

Témoignage : Une survie qui passe par l’export

Pologne

En Pologne, contrairement aux autres républiques proches de l’Union soviétique, les kolkhozes n’étaient pas dominants, et on y trouvait une petite agriculture privée rurale. En 1963, Konrad, le père de Lech, reprend la ferme de 14 ha pour vivre chichement de légumes, de céréales et de quelques animaux. Pendant ce temps, Lech travaille comme mécanicien dans une concession automobile.
"Je ne pouvais me résoudre à la voir disparaître". En 1989, au décès de son père, Lech reprend la ferme familiale. Mais pas question de vivre comme ses parents, pauvrement et sans avenir. Que faire sur 14 ha, qui puisse être rentable et valorisant ? "Des voisins m’ont fait découvrir l’intérêt d’un verger de pommes. La demande était très forte, notamment du voisin russe, les marges très confortables".

 

Des pommes car ça paie

Lech se lance."On a d’abord planté 2 ha, puis 2 autres 2 ans plus tard. Un investissement de plus de 12 000 €/ha". Les banques ont suivi car la production de pommes était à l'époque rémunératrice. "Il a fallu faire le dos rond. Le retour d’investissement n’est venu que 3 ans plus tard, pour les premiers hectares". à la clé, beaucoup de stress mais la réussite lui permet de poursuivre le développement du verger. Et aujourd’hui, les 14 ha sont plantés avec neuf variétés différentes et un renouvellement, en moyenne, tous les 12 ans.

 

L’embargo russe

2014 est une date noire pour Lech et l'ensemble des producteurs de pommes de Pologne. Finie la facilité d’un export maîtrisé et très rentable : 30 % des pommes polonaises, à destination de Moscou, doivent trouver une autre destination, pour cause d’embargo. L’Ouest en fait d'abord les frais avec des fruits bradés qui arrivent sur les marchés de l'Union européenne. "Nous ne pouvions continuer à perdre de l’argent comme cela a été le cas durant 3 ans", se souvient Lech, encore très marqué par cette période.
Puis la Pologne s’organise, en créant des groupements de producteurs, essentiellement pour dynamiser l’export puisque 70 % de la production doit quitter le pays. "Je récolte 400 t/an. J’ai réussi à contractualiser 100 t avec dix magasins de la ville de Ptock, toute proche". Un commerce maîtrisable, facile et rentable, sans souci logistique. "Il reste 300 t qui doivent absolument partir à l’export".
Dans un premier temps, Lech a travaillé avec une entreprise privée, qui répartissait les tonnages en fonction de l’actionnariat. Comme il ne voulait pas investir lourdement dans une aventure qui lui paraissait peu fiable, il se sentait lésé. "Maintenant, je travaille avec plusieurs exportateurs. Ils me contactent quand ils ont des marchés. Par exemple, j'envoie depuis l'an passé des pommes en Inde : elles partent en bateau pour un voyage de six semaines de Gdansk à Bombay via le canal de Suez. Peu matures, gazées avant l’entrée dans les containers réfrigérés, elles supportent le voyage".
Lech essaie aussi de jouer sur la saisonnalité, grâce à ses deux frigos. "À la récolte, le prix des pommes est de 3 zlotys/kg pour un coût de revient de 2,95. Si je les garde au frais jusqu’au printemps, je peux en tirer 4,5 zlotys". 15 % de la récolte part faire du jus, valorisé à un prix inférieur au prix de revient.
Les Polonais ont aussi rapidement compris que l’embargo russe pouvait se détourner, s’ils étaient prêts à faire un petit sacrifice sur leurs marges. C’est ainsi qu’ils ont multiplié les contrats avec des sociétés biélorusses, serbes ou kazakhs.
Mais le principal problème reste la fluctuation de la récolte. "Nous avons des années qui se suivent et ne se ressemblent pas. à cause du climat, gel, sécheresse ou abondance d'eau, et de la pression sanitaire, la récolte peut aller du simple au triple". Et le pays peut passer d’une situation de forts excédents à une tout juste autosuffisance.

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Comment assurer une pérennité

Dans un tel contexte, le verger polonais a plutôt tendance à se réduire d'une année sur l'autre, malgré des efforts sur la qualité et le renouvellement des vergers, avec des variétés plus en adéquation avec les marchés internationaux.
À 54 ans, Lech investit encore, avec 2 ha replantés en Gala. Il tenterait bien la Pink Lady dans un avenir proche, un investissement qu’il espère pouvoir transmettre un jour. Même si ses deux fils ont choisi une autre voie professionnelle, il ne désespère pas car il est déjà grand-père de deux garçons qui, pour lui, sont des repreneurs potentiels. "Pourquoi pas ? On ne connaît jamais le futur".

 

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