Produire encore du lait en Bretagne : raison ou défi ?
Périodiquement la question de la végétalisation de la Bretagne revient en force. Tout récemment ce sujet est revenu sur le devant de la scène et il était mardi au cœur d'une journée organisée par la chambre régionale d'agriculture de Bretagne : "production laitière, un défi breton". Parce que simplement le maintien des élevages et de la production ne va plus de soi. La main d'œuvre manque, les éleveurs sont pour la plupart surchargés de travail, ils dégagent souvent des revenus de misère. S'installer, dégager un revenu, même en lait même en Bretagne n'est plus une évidence ! Ce qui était hier un choix de raison, est-il en train de devenir un défi ?

La chambre régionale d'agriculture a fait salle comble mardi dans l'amphithéâtre de la maison de l'agriculture de Rennes. L'ensemble de la filière - la formation, l'industrie agro-alimentaire privée comme coopérative, l'ensemble des composantes de l'interprofession, les administrations, les collectivités locales -, s'est penché sur le devenir de la filière laitière, preuve s'il en fallait qu'il n'y a plus à ce niveau-là de ligne toute tracée et d'avenir radieux.
15 000 vaches en moins
Parce que toutes les courbes montrent aujourd'hui la même tendance. En quelques années 15 000 vaches ont disparu des campagnes et 31 000 génisses. Guy Le Bars estime qu'à l'échelle de sa coopérative, il faut compter 4 à 6 % de baisse du nombre de points de collecte. 40 % seulement des exploitations cédées sont reprises aujourd'hui. Seul point positif "la collecte reste dynamique" et s'il chiffre "l'érosion de la collecte à seulement -1 ou -2 %" pour l'instant, il estime qu'il faut "se préparer à une baisse" plus conséquente dans les années à venir. Et la plupart des témoignages vont dans le même sens. Bernard Le Breton, président de Pontivy Communauté, estime qu'à l'échelle de sa commune "entre deux comices, c'est à dire huit ans, une exploitation laitière sur deux a disparu".
André Sergent, président de la chambre d'agriculture de Bretagne, élargit l'analyse en évoquant "un déclin des filières d'élevage en Bretagne" alors que l'on parle d'une des premières régions de France en terme de production laitière avec 10 000 exploitations et 5 milliards de litre de lait.
Mais au delà des constats, et face à l'urgence de la situation, la question que voulait se poser la filière est bien que faut-il faire pour enrayer cette spirale annoncée à la baisse. Une baisse qui aura des répercussions en termes de micro et de macro économie au niveau des exploitations bien sûr, mais aussi du territoire, avec la disparition de la prairie essentiellement valorisée par l'élevage, en terme de vie dans les communes et les territoires.
L'élevage a toujours été astreignant, mais l'éleveur est aujourd'hui décalé par rapport à la société
Mettre des mots sur les maux
L'après-midi était organisée autour de trois échanges sur les thèmes de l'installation et du renouvellement des générations, des leviers d'optimisation dans les élevages et enfin de la question du foncier. Ils ont montré que de nombreux leviers existent pour ralentir ces courbes à la baisse, à défaut de les inverser. Ainsi si la question du prix est évidemment fondamentale comme déterminant du revenu, Isabelle Salomon, présidente de Résagri29, a su rappeler qu'à volume de lait équivalent, l'écart de revenu entre le quart des meilleurs et le quart des moins bons atteignait 35 000 € par an quel que soit le mode de production. Loïc Guines, président de la chambre d'agriculture d'Ille-et-Vilaine, indiquant qu'il y a - et heureusement - des exploitations qui gagnent de l'argent sans travailler 70 heures par semaine ! La question de la maîtrise technique, et de la formation devenant en effet prégnante à mesure que les volumes augmentent... Mais les leviers sont connus, le poste alimentation représentant 36 % de l'écart entre les moins bons et les meilleurs, 42 % si l'on y ajoute les frais d'élevage.

Un homme, c'est 50 à 70 vaches
Mais tout n'est pas qu'une question de chiffres. L'aspiration des plus jeunes n'est plus la même. Vincent Rétif, président d'Innoval, souligne : "Il y a des limites à ce que l'Homme peut faire". Partout dans le monde, quel que soit le mode de production, le chiffre, c'est un homme : 50 à 70 vaches. La question de la taille des élevages, du temps de travail, de la question du remplacement, de la formation, de la robotisation, du salariat est devenu un sujet à part entière. André Sergent indique : "L'élevage a toujours été astreignant, mais l'éleveur est aujourd'hui décalé par rapport à la société". Ce qui veut dire que pour éviter que les volumes ne partent ou ne disparaissent, il faudra trouver des solutions à ces questions d'astreinte de travail et pourquoi pas remettre en cause le modèle de développement ?
La Bretagne semble effectivement à un tournant ou à un seuil. Elle a encore la capacité de maintenir un environnement et un contexte favorable à la production laitière et à l'élevage, des voisins, de l'entraide, des Cumas, des services.
Ces éléments chacun mesure aujourd'hui leur valeur, et l'atout indéniable qu'ils représentent, mais aussi leur fragilité. La journée lait organisée cette semaine a probablement atteint son objectif de sensibiliser à cette question, d'ouvrir le débat et l'échange pour construire des solutions. Un début donc.
Un ministre à l'écoute
Julien de Normandie est venu, en échange visio, conclure cette journée importante. À l'écoute, il a accepté l'échange avec la salle pour affiner le diagnostic. S'il a bien sûr évoqué la question des États généraux de l'alimentation (Egalim), il a aussi rappelé qu'il "ne s'agissait pas d'une baguette magique", et que "la négociation sur les prix resterait un rapport de force". En élargissant la question des prix et du revenu, il a souligné : "Notre société a perdu tout attachement à la valeur de l'alimentation. La part de la matière première française décroit progressivement, elle ne représente plus que 7 % du prix du panier de la ménagère". Dans nos communes, on parle du prix du repas à 1,00 € alors qu'il faudrait plutôt parler d'un reste à charge à 1,00 € pour bien redonner la valeur de l'alimentation. Il rappelle aussi qu'il reste un travail considérable à faire par exemple au niveau des "donneurs d'ordre de la commande publique pour qu'ils ne fassent pas d'économie sur l'alimentation". "Même dans nos terres d'élevage 50 % de la viande utilisée dans nos cantines provient d'importations". Un messsage qui se voulait positif puisque contenant des pistes de travail et de progrès pour toute la filière.
Marie-Andrée Luherne, présidente de la FRSEA Ouest lait :
La Bretagne aux 1res assises du lait
Autre événement de la filière laitière, les premières assises du lait organisées par la FNPL (fédération des éleveurs) la semaine dernière aux Sables d’Olonnes. Une délégation d’une quinzaine d’élus bretons s’y est rendue, tout comme d'autres producteurs venus de toutes les régions de France. Que retenir des douze ateliers thématiques qui détermineront les axes de travail du syndicat laitier à moyen terme ? Le point avec Marie-Andrée Luherne, présidente de la FDSEA56 et de la FRSEA Ouest lait.
En région, comment avez-vous préparé ses premières assises du lait ?
Marie-Andrée Luherne. Nous avons choisi de nous dispatcher dans les 12 ateliers afin d’apporter notre vision dans chacun d’eux, mais aussi de pouvoir échanger ensuite sur ces problématiques en Région. En amont, nous avions échangé sur deux sujets qui nous semblent prioritaires pour la filière : la mise en place d’Egalim 2 et les Organisations de producteurs. Nous devions être très présents sur tous les sujets qui concernent le prix du lait.
Egalim 2, on y croit ?
M.A.L. Nous savons qu’il y a beaucoup d’attente vis-à-vis d’Egalim 2. Si la première version de la loi a fonctionné un peu, il en manque ! Nous avons désormais une boîte à outils plus complète et nous n’avons pas le droit de nous louper. Aujourd’hui les marques de distributeurs sont aussi confrontées à la mise en place d’Egalim, ce qui est une bonne nouvelle pour le retour aux producteurs. Nous ne voulons pas vendre du rêve. Nous sommes conscients que la loi n’est applicable que pour le marché français, mais nous devons tenir cette position lors des négociations commerciales.
Quelle est votre stratégie pour favoriser le retour de valeur aux producteurs ?
M.A.L. C’est aux organisations de producteurs de faire répercuter ses hausses auprès des entreprises privées. De notre côté, nous allons challenger les coopératives. Tout le monde doit impulser pour que les conseils d’administration répondent présents sur l’application de la loi. Le syndicalisme a commencé à expliquer à ses élus, en département et par filière, les tenants et aboutissants de la loi pour être prêt à l’expliquer, l’argumenter. Nous allons aussi faire ce travail sur le terrain, probablement lors de nos assemblées cantonales pour que chaque agriculteur porte ces revendications.