Réduction des phytos : ils témoignent
Lors du colloque Déphy grandes cultures polycultures élevage, organisé au lycée de la Touche à Ploërmel le 17 décembre dernier, de nombreux témoignages d’agriculteurs ou de conseillers et conseillères du dispositif Déphy breton sont venus illustrer la dynamique du réseau autour de la réduction de produits phytosanitaires.

Décider de réduire l’usage d’utilisation de produits phytosanitaires est avant tout un choix et constitue de fait un changement par rapport à un "avant". Organisée en trois étapes du changement, la matinée du colloque a permis de montrer les motivations des agriculteurs présents et les leviers techniques mobilisés pour rendre leurs systèmes moins consommateurs en phyto.

Rendre le système de cultures plus robuste sans changer la rotation
Pour une majorité des agriculteurs Déphy Ferme, les changements opérés n’ont pas modifié les rotations en place, souvent "maïs-blé" avec une interculture longue.
Paul Guernion est installé en Gaec à Planguenoual (22) dans une exploitation laitière avec 150 ha de SAU. "On était déjà dans une démarche de réduction d’intrants", précise Paul, qui indique avoir été bien aidé par le technicien de la coop du Gouessant, "lequel nous permettait d’identifier nos freins et d’y travailler". Paul a donc mis en place des essais pour tester de nouvelles pratiques (bio-régulateur et désherbage mécanique pour le maïs, mélange de variétés de blé…). Convaincu, le Gaec a investi dans une roto-étrille puis dans une bineuse en 2021. "Il faut accepter que la parcelle soit moins propre qu’il y a vingt ans", précise Paul. Il faut s’adapter chaque année comme en 2021 où la bineuse est arrivée mais n’a pas été utilisée faute d’une météo capricieuse. Avec le recul, "nous atteignons les mêmes niveaux de performance", poursuit-il.
Philippe Dantec élève des porcs et des vaches allaitantes à Saint Urbain (29) sur 160 ha. Engagé depuis plusieurs années dans une démarche de production de porcs sans antibiotiques, il s’est posé la question "pourquoi ne pas essayer sur les cultures ?". Il admet aussi que les productions végétales alimentent les animaux, il faut donc absolument "remplir les silos". Le premier travail a consisté à progresser sur la pulvérisation et les conditions d’intervention. Puis, il a testé et développé le binage du maïs. Pour le blé, il sème plus tardivement un mélange de variétés tolérantes à la septoriose et à la rouille jaune. Cela lui a permis de supprimer le premier fongicide classique. "Pour se lancer dans ces changements, il faut être motivé. Il y a un peu plus de temps à passer pour observer. Mais c’est à la portée de tout le monde". Au final, l’essentiel est que "chacun soit le plus autonome possible pour la prise de décisions".
D'après ces échanges, il apparaît que la gestion des adventices demeure la problématique essentielle de ces rotations courtes sans cultures nettoyantes. Le désherbage mécanique constitue un levier d’intérêt en maïs en complément de la chimie, mais il reste marginal dans les céréales.
Il y a un peu plus de temps à passer pour observer. Mais c’est à la portée de tout le monde.

Diversifier les rotations pour gérer les adventices
Hervé Le Pironnec conduit avec son épouse une exploitation laitière de 65 ha et 400 000 l à Questembert (56). C’est un mauvais état de santé des vaches (acidose, mammites, état général dégradé) qui l’a conduit à faire une révolution interne. Accompagné par un nutritionniste, il a décidé de supprimer l’ensilage de maïs et de le remplacer par des prairies temporaires, de la luzerne et des protéagineux. Le maïs, valorisé en ensilage d’épis, a diminué de surface. Au final, les rotations se sont diversifiées avec la présence de cultures nettoyantes (prairies). L’intégration depuis deux ans de la herse étrille a limité le recours aux désherbants. "Au final, mon IFT total est passé de 4,83 à 1,35", précise Hervé. "Je préfère surveiller pendant 3 ou 4 heures plutôt que de traiter, car il n’y a pas de protection complètement efficace pour nous". Le groupe est essentiel pour se rassurer, pour tenter, et comme l’indique Hervé "on avance tous ensemble".
Éleveur de poulets de Janzé à Bréal-sous-Montfort (35) sur une exploitation de 45 ha, Vincent Ménard a "basculé dans Déphy" après la fin d’un contrat MAE de réduction des herbicides. Il s’agissait de poursuivre en collectif les changements déjà opérés. "Avant j’avais une rotation maïs-blé-colza-blé mais sur des terres séchantes et les rendements n’étaient pas très bons". Après avoir essayé le pois protéagineux et la féverole, "trop gourmands en phyto" selon lui, il passe à des cultures nettoyantes. "Nous (groupe Dephy) sommes allés voir dans le Sud-Ouest comment faisaient les céréaliers bio. J’ai découvert que certains vendaient de l’herbe enrubannée pour les chevaux. De retour, je suis allé voir un voisin, propriétaire de chevaux, et nous avons signé un contrat". Vincent a implanté également du blé noir, avec une valorisation économique via le label Terres de Sources. Et demain, il passera en agriculture biologique.
Maintenir un système bas intrant dans le temps
Chrystel Gégu est éleveur laitier en couple aux confins de l’Ille-et-Vilaine et de la Mayenne. "Le cœur du réacteur c’est l’herbe", avance-t-il. 40 ha de prairies sur les 50 ha de l’exploitation permettent d’alimenter les 50 vaches laitières et la suite. "Je ne veux pas me faire déborder par les mauvaises herbes. La prairie en tête de rotation permet de bien gérer le salissement. J’utilise par ailleurs les mêmes leviers que les collègues" (désherbage mécanique, dates de semis retardées, mélange d’espèces et de variétés). Chrystel indique avoir une exploitation simple avec de nombreux atouts face aux enjeux à venir. Évoluer vers un tel système, c’est surpasser sa peur du changement, faire évoluer des repères techniques. "C’est un autre mode de pensée", conclut-il.
L’aventure Déphy continue en 2022 puisque six groupes bretons Ferme se sont réengagés pour les cinq années à venir !

Déphy grandes cultures-élevage en Bretagne
La Bretagne comptait, jusqu’à fin décembre, 9 groupes polyculture-élevage Déphy Ferme. Ils sont portés par Adage 35, les chambres d’agriculture de Bretagne, la FDCeta 35, le Civam AD 56 et Le Gouessant. Les premiers groupes se sont engagés depuis 2010.
Deux expérimentations Expé sont localisées dans notre territoire.
- Le projet Synophyt porté par la chambre régionale d’Agriculture de Bretagne sur sa station de Kerguéhennec (56), teste des systèmes de cultures sans prairies à -50 % et à -75 % de la référence régionale IFT, ainsi qu’un système en agriculture biologique.
- Le projet Res0pest piloté par l’Inrae est une expérimentation nationale multi-sites avec un site au Rheu (35). Il y est suivi un système sans utilisation de produits phytosanitaires.
Déphy c'est quoi ?
Action phare du plan Écophyto démarrée en 2010, l’action Déphy s’appuie sur deux actions distinctes :
Déphy Ferme : un vaste réseau de fermes Déphy en place au niveau national pour développer, mutualiser et diffuser les expériences réussies de changements de pratiques et de mise en place de systèmes de culture réduisant l’usage des produits phytos.
Déphy Expé : un réseau testant des systèmes de culture fortement économes en pesticides essentiellement en stations expérimentales.