Agriculture : "Il faut sauver un monde stratégique"
"Pourquoi les paysans vont-ils sauver le monde ?" Courageuse, la médiatique Sylvie Brunel, enseignante à la Sorbonne, spécialiste du développement durable, défend dans son dernier ouvrage, l'agriculture et ses agriculteurs contre la vague déferlante des demandes sociétales entre écologie, extensification et montée en gamme. Son crédo : il faut continuer de produire pour répondre aux besoins alimentaires mondiaux qui croissent. Résumé de son plaidoyer.

"Produire moins et plus cher, est-ce la solution quand la demande mondiale augmente ?", interroge l'écrivaine et géographe Sylvie Brunel, lors d'une conférence organisée à l'occasion de l'assemblée générale de la coopérative Garun Paysanne le 25 novembre à Hénansal (22). Celle qui a travaillé plus de quinze années dans l’humanitaire (Médecins sans frontières, Action contre la faim) défend avec intelligence et vigueur la production agricole. Elle dénonce les critiques et les décisions qui s'érigent contre le secteur agricole tel qu'il est aujourd'hui. Cette ex-militante de l'action humanitaire alerte sur la chute de notre agriculture : "Les ONG n'ont jamais eu autant de travail. Une personne sur neuf dans le monde souffre de faim. Dans les dix prochaines années, la demande de produits agricoles progressera de 16 %. Les défis mondiaux sont colossaux. Il faut continuer à produire. N'oublions pas que la France fait partie du petit groupe des grands exportateurs de céréales. Il faut garder une agriculture indépendante et nourricière !".
Écologie : ne pas tomber dans les excès
Changement climatique, loi Climat et Résilience, Pac 2023, Cop 26, Pacte vert pour l'Europe... Pour la géographe, l'écologie ne doit pas aboutir à une chute de la production agricole européenne : "l'Union européenne se tire un balle dans l'estomac", assure-t-elle. "Un quart du revenu agricole français est lié à l'exportation. On ne peut pas se replier sur le local !". Elle veut rappeler aux Français que leur qualité de vie est due à une alimentation sûre, qualitative et performante. Le "c'était mieux avant" est loin d'être la panacée idéalisée : "les Français sont des enfants gâtés ou gavés", assène-t-elle.
En fait, la géographe exhorte à penser la "3e révolution agricole", une révolution qui concilie production et protection de la planète, sans tomber dans les excès de l'écologie qu'elle décrit comme une "nouvelle religion qui secrète beaucoup d'écoanxiété".
Les maux, Sylvie Brunel les passe en revue dans une synthèse exhaustive. Contre les idées reçues, elle défend la place de l'élevage qui "ne gaspille pas les protéines végétales", que seuls les animaux sont capables de valoriser la cellulose des prairies non valorisables par l'homme, partout dans le monde. Elle parle des animaux qui réalisent des "taux de conversion incroyable (100 kg de maïs produisent 60 kg de porc). "Il faut réhabiliter cette protéine de qualité !".
Les défis mondiaux sont colossaux. Il faut continuer à produire.
Ne pas se replier mais passer à l'offensive
Elle dénonce le manque de revenu des éleveurs face à une GMS qui comprime et qui marge ; face à des consommateurs versatiles. Elle défend la protection sanitaire. "Dans l'humanitaire, j'ai vu des invasions de criquets, le désherbage manuel... Les contaminations bactériennes ne demandent qu'à revenir. L'aflatoxine est le plus puissant cancérigène naturel. Datura, ergot, mycotoxines..., les agriculteurs protègent les gens" rappelle-t-elle. Autre mal, l'accès au foncier avec l'artificialisation des terres et la "balnéarisation" de la Bretagne notamment... Tout cela doit faire réfléchir à des solutions d'intensification et non d'extensification, dit-elle. D'autant que l'agriculture est à un tournant démographique avec la moitié des agriculteurs en âge de partir à la retraite d'ici dix ans. Derrière ses mots, on comprend que les choix en matière de politique publique ne recueillent pas son entière adhésion.
Aussi, Sylvie Brunel demande à ce que l'on reconnaisse à l'agriculture "son droit à utiliser les techniques modernes". Elle voit une agriculture "high-tech" respectée et payée pour les services rendus : alimentaire, environnemental et sociétal. Aux agriculteurs d'être vigilants et sur la brèche pour capter les fruits de leurs services (notamment les crédits carbone). Pour cela, l'écrivaine et militante les encourage à "porter le combat", dans une attitude offensive mais non agressive. "Il faut créer une chevalerie au sein de l'agriculture pour qu'elle se protège".