À chacun sa conversion
Nombreux sont les éleveurs laitiers aujourd’hui, pour des raisons diverses, à s’interroger sur leur système de production. Le passage en bio fait partie des orientations possibles, mais le choix du type de conversion n’est pas sans conséquence sur l’élevage.

La conversion est une période de transition vers l’agriculture biologique. C’est souvent une période délicate et stressante pour les éleveurs qui doivent respecter un nouveau cahier des charges. Il existe deux types de conversion soit simultanée, soit non simultanée (1), chacune étant associée à une durée différente.
Dans le cas d’une conversion simultanée, les terres et les animaux sont engagés en AB en même temps. Au bout de 24 mois, les produits (lait, viande) sont commercialisés en AB. Lors d’une conversion non simultanée, les terres sont d’abord engagées en AB pendant 24 mois. La conversion des animaux débutera quant à elle (au minimum) un an après celle des terres, et durera 6 mois pour ce qui concerne les bovins. La commercialisation du lait pourra être valorisée en bio à partir de ce moment, soit au minimum 18 mois après le début de la conversion des terres.
Un impact sur la gestion des stocks
Même si la conversion non simultanée parait financièrement intéressante, il faut mesurer son impact sur la gestion des stocks. Pour pouvoir engager les vaches en AB, il faut disposer d’un maximum d’alimentation C2 produit sur l’exploitation, puisque seuls 20 % de la ration (calculé sur les 6 mois de conversion) peuvent provenir de l’utilisation d’herbe ou de protéagineux C1 produits sur la ferme. L’ensilage de maïs et les céréales (grain ou ensilés) C1 ainsi que les stocks conventionnels sont interdits. Ils doivent être terminés avant d’engager les animaux en AB. La date d’entrée en conversion des bovins dépend donc du caractère herbager du système et des stocks de l’exploitation. Concrètement, les bovins doivent avoir accès au maximum au pâturage, afin de limiter l’apport de stocks fourragers C1 et permettre de constituer dans le même temps des stocks fourragers C2. La production envisagée la 1ère année sur les surfaces supplémentaires en prairies implantées récemment peut être insuffisante. Et certains éleveurs ne maîtrisent pas encore forcément la conduite de l’herbe. Ce mode de conversion demande donc d’être en flux tendu durant la période de transition sur la gestion des fourrages.
L’intérêt économique est à évaluer entre la vente d’une production de lait en conventionnel sur la première année de conversion, la commercialisation du lait en bio 6 mois après la conversion des animaux, et la complexité de la gestion des stocks. Ces notions sont également à prendre en compte dans un contexte d’aléas climatiques pouvant pénaliser la sécurité alimentaire par l’achat de fourrages bio. Sans oublier que le produit viande n’est commercialisé en bio que lorsque l’animal a passé 12 mois de conversion et au moins ¾ de sa vie en AB. Les éleveurs qui font le choix d’une conversion non simultanée doivent anticiper conjointement l’évolution de l’assolement pour prévoir des stocks fourragers C2 et assurer une transition alimentaire progressive vers une ration à base d’herbe.
La conversion demande d'engager une réflexion sur la cohérence de son système d'exploitation.
Une conversion sur 2 ans
La conversion simultanée s’avère plus simple sur la gestion des stocks. Les aliments conventionnels et C1 produits sur l’exploitation doivent être consommés pendant les 2 ans de conversion du troupeau. Il n’y a pas de pourcentage à respecter. Par contre, l’achat de concentré ou de fourrage pendant les 2 ans de transition doit se faire en AB alors que le lait est vendu au prix conventionnel. Le coût alimentaire peut être alors plus élevé si le système n’est pas autonome, gage de réussite en agriculture biologique. Même si la conversion simultanée semble moins risquée, une trésorerie saine pourra faire face économiquement aux évolutions du nouveau système (implantation des prairies, baisse de production,…).
Au-delà des aspects financiers, la conversion en agriculture biologique demande avant tout d’engager une réflexion sur la cohérence de son système de production, en s’appropriant les principes et les techniques de la bio. Quelques soient les stratégies fourragères choisies, la conversion doit être réfléchie, afin de sécuriser ce changement d’orientation sur l’exploitation.
Plus de 950 Pass'bio soutenus en dix ans
Le dispositif Pass’bio, lancé par la Région Bretagne en lien avec Initiative Bio Bretagne, existe depuis 2011. En dix ans d’existence, environ 950 demandes ont été soutenues, pour une enveloppe financière d’un million d’euros (340 000 € pour un diagnostic et 610 000 € pour un suivi, 170 bénéficiaires ont été soutenus sur les deux volets). Ce dispositif est venu répondre à un besoin fort d’accompagnement technico-économique vers la conversion en agriculture biologique. Tant sur le volet diagnostic que sur le volet suivi, il contribue à sécuriser les producteurs lors de décisions très importantes pour la réussite de leur projet.
Les demandes émanent en grande majorité des producteurs de lait. Ainsi, un atelier bovin (éventuellement associé à une autre production) est présent dans 7 fermes bénéficiaires sur 10. Après des démarrages timides et en moyenne une quarantaine de dossiers par an, les demandes ont fortement augmenté à partir de fin 2015, en lien avec le développement de la production laitière biologique bretonne. L’année 2016 reste l’année record avec 188 demandes.
Dans deux tiers des cas, le Pass'bio diagnostic se transforme en une conversion. Pour les autres, tous les ingrédients de la conversion ne sont pas réunis, comme, par exemple, des engagements bancaires trop importants, une autonomie insuffisante ou encore une surface accessible insuffisante. Le projet de conversion doit alors être différé. Quand les conditions sont enfin réunies, des éleveurs se lancent à nouveau, parfois plus de 5 ans plus tard. / Isabelle Pailler