Fauche avant récolte : un moyen de sécuriser ses récoltes ?
Cette pratique encore nouvelle et mal connue en Bretagne suscite un certain engouement. Deux exploitants en centre Bretagne, Kristen Le Boedec de Mael-Carhaix, Anne-Marie Guinamant de Carnoët et leur ETA témoignent de leurs premières expériences.

Qui sont les agriculteurs qui vous sollicitent ?
Philippe Chambry. Ce sont par exemple les agriculteurs conventionnels qui implantent du colza et du colza ensemencé, car il n’y a plus de produit de fanage autorisé. Les agriculteurs, en culture biologique ou non, ayant des problèmes de mauvaises herbes dans leurs céréales, appellent également pour cette prestation. Je pensais depuis un moment investir dans une machine, c’est cette année que j’ai fait le pas. Mon choix s’est porté sur une machine automotrice de 5 m de large. Nous avons fauché 240 ha pour cette première saison.
Quels intérêts voyez-vous à cette technique ?
P.C. Ce n’est que notre première année, nous n'avons pas suffisamment de recul mais les premiers résultats sont très satisfaisants. La fauche permet entre autres de faire sécher la végétation et le grain au champ, surtout s’il y a beaucoup d’adventices. La récolte est de meilleure qualité et le stade de maturité est homogénéisé, le grain est nettement valorisé. La paille profite d'un séchage optimal, améliorant ainsi le pressage derrière la moissonneuse. Sur le blé noir, vu la période de récolte, beaucoup hésitent à franchir le pas et à utiliser cette technique de peur qu’il reste sous la pluie et qu’on ne puisse pas le ramasser. Mais le cas de Kristen prouve le contraire.
Comment procédez-vous ?
P.C. Pour les céréales, le fauchage s'effectue généralement trois ou quatre jours avant la récolte. Nous ramassons le tout avec une moissonneuse équipée d’un pick up à tapis.
Pourquoi avez-vous utilisé cette technique pour la première fois cette année ?
Anne-Marie Guinamant. J’y réfléchissais depuis un moment, et l’ETA avec qui je travaille a investi cette année dans une machine automotrice, c’était l’occasion d’essayer. J’ai commencé avec mes mélanges céréaliers, pour tester la technique. Quand j’ai vu les résultats 10 jours plus tard, j’ai décidé de faucher toutes mes céréales, 42 ha en tout.
Kristen Le Boedec. Pour ma part, ce sont les conditions météos défavorables qui m’ont poussé à le faire sur mon sarrasin. J’avais commencé à moissonner de manière classique, mais les tiges étaient trop humides et la machine bourrait. Une tempête s’annonçait avec beaucoup d’eau, du coup j’ai préféré faucher pour éviter la verse, en attendant le 1er rayon de soleil pour récolter.
Quels intérêts voyez-vous à cette pratique ?
A.M.G. C’est une pratique qui en centre Bretagne me semble pertinente, car elle donne plus de souplesse quant aux fenêtres météo. Ici, récolter des céréales avec des grains à moins de 13-14 % d’humidité c’est souvent compliqué. Les jours en août sont plus courts, souvent plus frais et pluvieux. La présence d’adventices peut encore compliquer le stockage et le séchage, et baisser votre marge (déclassement de la culture, coût de séchage). Moi, j’ai des soucis de vesce dans mon blé. Faucher avant récolte quand la vesce est encore en fleur évite qu’elle se ressème. Et sur des parcelles sales, la technique permet de ne pas récolter trop de verdure et de baisser significativement le taux d’humidité.
K.L.B. Cette technique permet selon moi de s’affranchir des mauvaises conditions météo. Et d’enlever l’humidité des tiges ce qui facilite le ramassage. Il y aurait eu du beau temps, je ne l’aurai pas testée. Mais au vu des premiers résultats, je pense à l’avenir faucher toutes mes cultures de vente.
Comment s’est passée la récolte ?
A.M.G. J’ai coupé 10 voire 15 jours avant la récolte prévue. Mes critères pour décider de la date de fauchage étaient d’avoir une céréale mûre mais pas sèche, et dans le blé, une vesce encore en fleur.
K.L.B. La fauche du sarrasin a eu lieu le 17 septembre, date à laquelle j’avais prévu de récolter. Tous les grains n’étaient pas mûrs mais j’étais pressé par les mauvaises conditions météo. Ensuite, il y a eu trois semaines de pluie et un orage carabiné. Au final, le sarrasin n’a pu être récolté que le 10 octobre, quasiment un mois plus tard. L’année prochaine je réitère mais je faucherai un peu plus tôt, avant que la majorité des grains soient totalement mûrs
Quels résultats avez-vous obtenus ?
A.M.G. Une semaine après la fauche des céréales, j’ai fait analyser un échantillon. Il était encore à 19 % d’humidité et 74 de PS. Cinq jours plus tard, les résultats étaient de 12-13 % d’humidité et 79,5 de PS. Sur l’ensemble de mes céréales, j’ai fait en moyenne entre 38 et 40 quintaux/ha, avec de bons taux d’humidité à 12-13 %, même sur l’orge qui a quand même reçu 15 mm de pluie.
K.L.B. J’étais inquiet car le sarrasin est resté trois semaines au champ, sous la pluie et la tempête. Il est évident qu’il y a eu un peu d’égrainage. Néanmoins, j’ai récolté 17qx brut à 26 % d’humidité, avec un PS de 57 et un grain à 16°C. La fauche a permis d’éviter la verse. Le sarrasin était coupé haut. Du coup, l’andain était posé sur les tiges coupées, l’air a pu circuler et le grain sécher malgré les conditions climatiques. Je referai l’expérience l’année prochaine, mais je serai plus serein.
Quels conseils donneriez-vous ?
A.M.G. et K.L.B. Il faut veiller à ce que la coupe soit haute (au minimum 20-25 cm du sol), de façon à ce qu’il y ait une lame d’air entre le sol et la culture. Cela évite qu’elle pourrisse et permet au grain de sécher au champ. Et il faut faucher par beau temps.
Vigilance
Si la pratique semble se justifier sur céréales en zone froide, attention à bien évaluer la rentabilité de la pratique, notamment sur sarrasin (compter autour de 60€ à 75 €/ha de fauche + la moisson).
Sur colza, cette pratique est plus délicate, et fait l’objet d’une étude depuis 2020 sur 3 ans avec Terres Inovia (projet secolbio).