La production laitière en Bretagne : un changement de regard ?
Depuis le printemps 2020, les chambres d’agriculture de Bretagne conduisent une vaste étude prospective pour imaginer ce que pourraient être, de manière réaliste, les agricultures bretonnes à l’horizon 2040. Pour cela elles ont commencé par réaliser un état des lieux de 13 filières présentes en Bretagne en interviewant pas moins de 90 acteurs de ces filières. Aujourd’hui, découvrons la filière lait.

"Le pied d’argile c’est la main d’œuvre"
Le nombre d’élevages diminue inexorablement, sans que les diverses mesures d’accompagnement de l’installation ne permettent d’y remédier. Compte tenu de la pyramide des âges, 50 % des éleveurs bretons pourraient arrêter la production laitière dans les dix ans à venir. Or depuis 2010, seuls 260 jeunes s’installent chaque année en élevage laitier : le non-renouvellement est une évidence. Même s’il se développe, le salariat ne compensera pas cette érosion de la main d’œuvre.
"Il y aura toujours du lait en bretagne"
Cette certitude largement partagée a peut-être alimenté un sentiment de sécurité trompeur. Désormais, d’après les personnes interviewées, il faut envisager que la production laitière bretonne pourrait baisser dans les années à venir. La dimension moyenne des élevages semble donc vouée à augmenter.
Pour l’avenir, les interlocuteurs entendus posent la question de la nature des capitaux finançant les reprises d’élevages et en particulier ceux de grande taille. Le recours à la technologie devrait s’intensifier, pour améliorer les conditions de travail. Selon eux, il faudra s’adapter à un rapport au travail différent pour la jeune génération : "les jeunes qui s’installeront, n’accepteront plus une charge de travail démesurée au regard du revenu permis par leur activité".
"La société nous regarde"
L’adaptation aux attentes sociétales est le deuxième défi mis en avant. Elle orientera les modes de production dans les élevages comme dans les usines. Sont cités le bien-être animal, l’autonomie, la naturalité des produits, le bilan carbone, l’origine locale... et l’utilisation de technologies qui apportent de la transparence aux consommateurs.
L’équilibre économique sera parfois difficile à trouver alors que les exigences de compétitivité ainsi que de maîtrise des coûts et des ressources vont se renforcer.
"De plus en plus de pics de chaleur"
L’adaptation au changement climatique, les politiques environnementales et la disponibilité de l’eau figurent à la troisième place des défis pour demain. Sur la question climat, la région Bretagne est considérée comme bien positionnée par rapport à d’autres régions même si elle connaît elle-aussi de plus en plus de pics de chaleur et d’épisodes de sécheresse.
L’adaptation du système fourrager sera nécessaire. Pour certains, "il faudra planter des arbres". D’autres évoquent la généralisation des dispositifs de paiements pour services environnementaux liés au stockage du carbone. Mais certains s’inquiètent aussi de la place laissée à l’élevage bovin en Bretagne si la vache est montrée du doigt comme forte productrice de méthane ou plus généralement de gaz à effet de serre..
Info : Cette analyse s’est appuyée sur 13 entretiens, réalisés en mai et juin 2020, auprès d’éleveurs, d’élus, d’experts de la production laitière et de représentants interprofessionnels. Certains des messages marquant ont été repris tels quels dans cet article, ils apparaissent "entre guillemet".
La filière laitière bretonne en 2021 : carte d’identité
10 096 élevages livrent du lait à l’industrie en Bretagne dont 734 élevages bio au 1er janvier 2020. C’est 20 % du nombre total d’élevages laitiers conventionnels et bio en France.
La Bretagne est la 1ère région française productrice de lait conventionnel et bio.
La collecte atteint 5,4 milliards de litres en 2019 soit un peu plus d’un cinquième de la collecte nationale. A noter, la collecte bretonne bio ne représente que 210 millions de litres en 2019.
40 sites industriels transforment du lait en Bretagne. Ils appartiennent à des coopératives (Agrial, Laïta, Sodiaal, Terres de l’Ouest (ex-Clal Saint Ivy)), ou au secteur privé (Froneri, Lactalis, Savencia, Sill, Triballat-Noyal, pour les principaux). En parallèle de cette organisation en filière longue, des élevages s’orientent vers des circuits courts.
Les principaux produits laitiers fabriqués en Bretagne sont notamment les laits conditionnés, le beurre et la crème, l’emmental et les poudres de lait.
Les producteurs ont besoin de visibilité et de vivre de leur métier
Avec ce travail de prospection, quels sont les marqueurs qui ont été mis en avant sur la filière laitière ?
Edwige Kerboriou. Tout d'abord, la région Bretagne est une région qui " installe". Magré tout, ce n'est pas encore suffisant puisque dans les 10 ans, 50 % des exploitations vont changer de main. On constate des installation de tout type, mais ce qui pose problème en élevage, c'est le coût des reprises, notamment pour les jeunes hors cadre familial.
À la chambre d'agriculture, on attache donc beaucoup d'importance en amont sur la formation des associés.
Comment répondre au changement des attentes sociétales et au réchauffement climatique ?
E.K. Pour répondre aux attentes, on s'inscrit dans une transition réfléchie et accompagnée, à la fois par le conseil et financièrement. Les MAEC par exemple répondent à une volonté d'évoluer, en palliant aux risques. Mais pour cette transition on a besoin de visibilité et de cohérence des politiques publiques.
Sur le changement climatique, la Bretagne a plein d'atouts qui peuvent apporter des réponses et notre profession est sans sans doute celle qui a le plus de possibilités. À condition d'avoir une double performance : économique et environnementale.
Malgré ces atouts on évoque une possible déprise laitière dans la région...
E.K. La déprise laitière, elle existe déjà. Beaucoup d'incertitudes, charge de travail, climat de défiance... Ce sont autant de raisons qui peuvent pousser certains producteurs à arrêter. A un moment donné, il faut se poser la question de savoir si on veut continuer à avoir du lait en Bretagne. Pour cela les producteurs ont besoin de visibilité et surtout de pouvoir vivre de leur métier. La loi Egalim était pleine de promesses, mais pour le moment c'est un peu un coup d'épée dans l'eau alors effectivement si on continue comme ça, je ne suis pas très optimiste à long terme. Il est temps de tirer la sonnette d'alarme !
Propos recueillis par Arnaud Marlet