Des légumineuses bretonnes dans nos assiettes
Graines de pois chiche, haricot rouge, pois et lentille corail sont un bienfait pour l’alimentation humaine et constituent aussi une assiette bénéfique pour le climat en fixant l’azote. Avec un transformateur, Jean-Yves Couedel et d’autres agriculteurs bretons les testent dans leur assolement. Elles y forgent leur place, pas à pas, avec une filière qui s’invente. Alors du houmous 100 % breton ?

"Sur la Presqu’île de Sarzeau (56), je crois que je suis le seul à l’avoir tenté", décrit Jean-Yves Couedel, cultivateur expérimentateur*. Avec son fils, salarié de la ferme qui s’installe en septembre prochain, ils cultivent 115 ha en bio depuis 2010. "La ferme de Bohat va perdurer", se réjouit-il, décrivant climat et terre "spécifiques". Là, sans élevage, il a adapté des cultures diversifiées, pointant la difficulté en "bio de la fertilisation azotée doublée par des terres sur la bande littorale des 500 m, où il est interdit d’épandre". Alors, la luzerne y a fait son apparition, "une bonne tête de rotation comme toutes les légumineuses" : féverole, mélanges céréaliers avec du pois, sursemis de trèfle nain dans le blé sont pratiques courantes à la ferme du Bohat qui fournit aussi à la filière de la Terre à la Bière, son orge brassicole.
De la phase d’essais à l’après
"Il y quatre ans, un transformateur, l’Atelier V de Vannes, est venu vers nous pour connaître des producteurs locaux qui seraient susceptibles de leur fournir du pois chiche, du pois cassé, de la lentille corail et du haricot rouge. Ils en consomment 80 tonnes pour leurs préparations, désormais, on leur en fournit 1,5 tonne", raconte l’agriculteur.
Les besoins sont énormes, satisfaits aussi par l’importation, "80 % des lentilles viennent du Canada", situe Caroline Cocoual, de la chambre d’agriculture de Bretagne. Alors, face aux nombreux enjeux, "on a monté un groupe AEP légumineuses à destination de l’alimentation humaine", note Jean-Yves Couedel. Ils sont aujourd’hui 25 en Bretagne, avec encore beaucoup à découvrir, "le légume sec est plus fait dans le sud"… Pour les accompagner, l’ingénieure agronome Caroline Cocoual : "on a commencé par des essais sur 1 000 m², on partait en pleine inconnue. La deuxième année, sept agriculteurs ont testé sur 3 000 m², trois à quatre cultures"... Toutes les phases sont testées, du semis à la la récolte, en passant par le tri, le décorticage et la conservation... "On a envoyé nos graines à la Cuma la Trieuse en Vendée. Ce n’était ni viable aussi bien d’un point de vue logistique qu’économique", situe la jeune femme. En 2020, changement d’échelle : "un de nos collègues, Remy Gicquel à Saint-Gonnery, s’est équipé d’une chaîne de tri et d’une trieuse optique en Cuma. Reste à ajouter une table densimétrique pour éliminer les cailloux", estime Jean-Yves Couedel pour que la chaîne soit complète.
Le plus délicat, cíest le post-récolte.
Gérer aussi l'après récolte, déterminant
Essuyer les plâtres : ceux de trouver de la semence, de "faire avec" le matériel disponible sans investir, de mener les cultures "parfois très délicates", en pur ou en mélange, "lentille corail et orge qui lui sert de tuteur", et de devoir semer tôt, "car ce sont de cultures de printemps, ça démarre lentement, on a du mal à les garder propres", et gare "aux sangliers et choucas qui les trouvent très à leur goût"…
Aux rendements, "très variables", s’ajoute la difficulté du tri face aux exigences accrues des transformateurs. "Pour l’alimentation humaine, quelle que soit la graine, le nerf de la guerre, c’est le triage qui peut ralentir la mise en place de la filière", cadre Caroline Cocoual. Sans compter "qu’il faut un bon stockage derrière", insiste-t-elle. Pour l’améliorer, Jean-Yves Couedel, équipé d’une chaudière à bois plaquettes, a installé un système de séchage "maison", sur fines grilles qui insufflent la chaleur.
Une filière à consolider
Au final, "le pois chiche est le plus adapté ici à mes sols sablo-limoneux séchants, le pois cassé et la lentille sont bien adaptés aux sols profonds, le haricot rouge, c’est compliqué, ça demande de l’eau", inventorie le cultivateur. Un pois chiche "dont je ne ferai pas plus de 4 ha compte tenu du risque". Car le coût de culture dépend de celui de la semence, élevée : 2 euros du kg, "Il en faut 300 kg à l’ha pour faire une moyenne de 10 qx à l’ha". Et dont la tonne est vendue pour l’alimentation humaine 2 000 euros. "On avance petit à petit, le plus délicat, c’est le post-récolte". Alors à quand la mise en place d’une filière ? "Nous on y croit, on continue à avancer. Au niveau agronomique, on est parti de loin, tout l’après récolte est à consolider", situe des enjeux à venir Caroline Cocoual, "car le débouché est là, on a régulièrement des demandes".
Là encore, pour que la filière se développe, "ça passera par des prix corrects pour les producteurs", et pour cela, "savoir valoriser le fait que ce soit une production locale", en phase aussi avec les attentes sociétales.
*Journée organisée le 18 mars par le Parc naturel régional du golfe du Morbihan, en partenariat avec la chambre d’agriculture du Morbihan et le GAB 56.