Agriculteurs de Bretagne : expliquer pour convaincre
La phase une, puis deux, du confinement, a profondément bouleversé les activités de l'association Agriculteurs de Bretagne (ADB), que ce soit par les annulations des festivités estivales mais aussi la refonte complète de ses moyens de communication pour aller à la rencontre des consommateurs bretons.

À travers une émission spéciale, l'association proposait aux "télé-youtubeurs" d'entrer "dans les coulisses de l'association", en invitant des partenaires qui ont jalonné son parcours au cours des huit dernières années, comme Erik Orsenna.
Se réinventer
La tournée d'été du bus d'agriculteurs de Bretagne sur les marchés, organisée en quelques semaines par les équipes de l'association suite à l'annulation des festivals, a mobilisé 70 agriculteurs qui se sont relayés sur les différentes étapes. "Cette nouvelle opération a fédéré les agriculteurs porteurs de ce message de communication positive. L'occasion aussi d'entendre les nombreux commentaires bienveillants et les questionnements des consommateurs", explique Dominique Gautier, éleveuse de porcs à Trévérec (22) et membre du bureau d'ADB. Des propos corroborés par Danielle Even, présidente de l'association, qui ajoute : "beaucoup d'injonctions sont faîtes à l'agriculture. Nous voulons pouvoir dire sa réalité, quel est son quotidien et renouer le dialogue. Pour nous, il n'y a pas de tabous. Nous avons des pratiques, nous savons qu'il y aura encore des évolutions, nous devons favoriser les échanges et la nuance pour nous adapter aux demandes sans remettre en question la vivabilité de notre métier". Cette tournée d'été est d'ores et déjà reprogrammée pour l'été prochain.
Chaque décision que prend l'agriculteur est une somme de compromis.
Un consommateur versatil à rassurer
Si la pandémie empêche les rencontres comme "Tous à la ferme" où quelques milliers de personnes venaient dans les exploitations, l'association ne renonce pas. "Il est important de continuer à ouvrir les portes de nos fermes. C'est sur le terrain que le consommateur peut comprendre nos pratiques et la complexité de nos métiers", assure Dominique Gautier. L'opération se tiendra donc en petit groupe d'une dizaine de personnes sur réservation. Pour Erik Orsenna, académicien, "le consommateur demande aux agriculteurs de faire au moins cher possible en étant le plus vertueux possible. C'est une injonction contraire à laquelle ils ne peuvent pas répondre. Il y a 20 ans, le budget alimentation d'une famille représentait 25 % de ses revenus. Il est aujourd'hui à 11 %". Très en prise avec les questions agricoles, l'académicien répète : "chaque décision que prend l'agriculteur est une somme de compromis. Il faut faire comprendre tout ça aux consommateurs. Vous voulez plus ? Donnez plus !".
Apporter de la nuance
Erik Orsenna, dans son analyse de la société, estime que "les gens d'aujourd'hui n'aiment pas la complexité". Un constat qui entre en contradiction avec un monde de plus en plus complexe, grâce aux apports de la science, de la technique... Il prône donc "l'explication à outrance". Un mécanisme qui peut porter ses fruits à l'instar de la modération actuelle de l'écologiste Gabrielle Dufour. Invitée en septembre dernier par l'association au Space 2020, elle fait aujourd'hui le lien entre consommateurs et agriculteurs après les avoir tant décriés. Et d'expliquer : "j'ai évolué dans le milieu écologiste avec beaucoup de certitudes, en adoptant les codes, les gestes, et le vocabulaire de la pensée écologiste. J'avais une vision manichéenne de l'agriculture, caricaturale. Pour moi d'un côté il y avait les petits paysans bio, sans pesticide, qui produisaient de la bonne agriculture locale et de l'autre, les gros agriculteurs, issus de l'agro-industrie qui avaient perdu tout libre-arbitre. À l'époque ça me paraîssait naturel et beaucoup pensent encore cela", estime la jeune femme. Une proportion à mettre en relation avec la réalité des études consommateurs éditées cette année (encadré). L'agriculture est diverse, il semble rester beaucoup de chemin à faire au bus d'Agriculteurs de Bretagne pour prêcher la bonne parole.
Étude conso : l'amour vache ?
60 vaches reste à ce jour la moyenne des élevages laitiers. Loin, très loin des modèles polonais ou américains à plusieurs milliers d'animaux par exploitation. Or, les messages de prudence vis-à-vis de la production, voire les accusations semblent monnaie courante. L'agence de communication Newsens, dirigée par Hérvé Le Prince, et la société de sondage TMO ont sondé 800 personnes (bretons et français) et ont comparé les résultats au même sondage réalisé en 1997 et 2012.
- 56 % des bretons ne sont pas d'accord avec la notion d'agribashing qui dénigre les agriculteurs et leurs pratiques,
- 25 % ne savent pas,
- 11 % sont d'accord avec l'agribashing.
Tous s'accordent à dire qu'il ne sert à rien de chercher à convaincre les 11 % de détracteurs mais qu'il faut se concentrer sur les indécis.
Danielle Even, présidente de l'association, rappelle que l'agriculture bretonne est faite par des hommes et des femmes qui habitent le territoire, qui prennent des risques ici, qui s'inscrivent dans le temps long et qui croient en ce qu'ils font. "Pour nous, c'est toujours extrêmement choquant de s'entendre qualifier d'intensifs et d'industriels. La solution est dans l'écoute et le compromis pour faire société".