La filière châtaigne renaît en pays de Redon
Ils pressent leurs huiles extraites des céréales qu’ils cultivent sous leurs châtaigniers, en bio, à Nivillac. Et sous leur bâtiment agricole, couvert de panneaux photovoltaïques, l’ancienne conductrice de travaux et l’ex-élagueur redonnent vie à une production et une filière disparue, celle de la châtaigne en Bretagne. Histoire d’une reconquête à la ferme des écureuils.

Depuis les sept hectares de vergers implantés en châtaigniers à Truhel, à Nivillac (56), le regard porte loin. Il suit les larges boucles de la Vilaine qui se love généreusement dans son vaste lit majeur. Elle s’y étale au printemps. Un territoire d’étiers. L’eau n’est jamais loin, ni pour l’herbe, ni pour le maïs des troupeaux.

S'ancrer en Bretagne
Ils ont à peine la quarantaine et trois enfants qui ne sont plus petits. "Depuis l’enfance, je voulais revenir là, en Bretagne où vivaient mes grands parents", ancre Jean-Baptiste Herisse originaire, tout comme Ludivine, du Maine et Loire. "Mes parents avaient des vaches laitières, ce n’était pas évident", raconte refroidie, la jeune femme. Elle préférera alors le secteur du bâtiment où, diplômée en génie civil, elle est conductrice de travaux, pendant huit ans. Lui, avec son BTA de forestier, grimpe au sommet des arbres, les élague, c’est "un écureuil" dans le jargon des métiers du paysage. La Bretagne, un de leurs nombreux projets communs, les amène tôt à s’ y engager. "On a acheté en 2006 une petite maison en pierres, ici qu’on a restaurée, transformée en chambres d’hôtes et puis en gîte". Après un détour par Groix pour un projet d’éco-pâturage, le couple s’installe définitivement à Nivillac, tout aussi voileux que proche du port du Folleux. Et quand en 2019 leur voisin, éleveur laitier, leur évoque sa fin de carrière sans repreneur : "On a vraiment réfléchi. La terre, j’aime ça. On s’est dit pourquoi pas. Nous voulions produire en bio, transformer et vendre, maîtres du semis jusqu’à la vente, même si c’est du temps passé", résume Jean-Baptiste Herrisse de leur aspiration.
Nous sommes producteurs récoltants et transformons à la ferme des châtaignes ramassées en Bretagne.
La châtaigne bretonne sort de sa bogue
Ils reprennent alors les 40 hectares. L’idée ? "Faire des céréales en bio mais en tant que forestier. Je m’intéresse aux arbres, à l’agroforesterie, et je voulais valoriser cela". Ce, dans cette région de Redon, pays dont le marron a fait le renom. Mais en fait de marron, indigeste, il s’agit plutôt de la châtaigne qui a fait sa renommée. "D’où l’idée mais il n’y a plus rien au niveau filière, plus d’éplucheur, ni de transformateur. Quant aux vergers, beaucoup ont été coupés sauf chez de rares particuliers". L’état des lieux est sans appel, "alors qu’on en produisait autant qu’en Ardèche" (lire en encadré). C’est dans les berceaux actuels de production, que le couple va se former auprès de personnes ressources. "Elles sont très peu nombreuses, on peut saluer Didier Mery technicien de la chambre d’agriculture de Dordogne", et des particuliers. "Ils étaient curieux et contents de voir que la Bretagne replante".

450 plants achetés
Après son parcours à l’installation, Jean-Baptiste Herisse s’installe le 1er janvier 2020 avec les aides et implante, sur 20 hectares acquis et 40 cultivés, sept hectares de vergers aux deux-tiers irrigués. Là, Margoule, Marsol et Maraval, variétés hybrides du sud de la France, "solides face au changement climatique et résistantes à l’encre", sont greffées avec des variétés locales telles la Saint-Jean, la Persillotte, la Marron de Redon ou la Champ du marais. "Dans sept ans, bien irrigués, nos plants vont avoir bien poussé et ils donneront", assure le couple, passionné. En attendant, pour compléter ce qu’ils ramassent déjà, Jean-Baptiste et Ludivine Hérisse travaillent avec trois producteurs dont un professionnel de la région de Redon. Pas de châtaignes chinoises à la Ferme des écureuils : "Nous sommes producteurs récoltants et transformons à la ferme des châtaignes ramassées en Bretagne", précise Ludivine, aussi pointue sur les appellations que sur les obligations sanitaires et les recettes qu’elle concocte au labo. Pour l’abriter, un bâtiment d’exploitation en bois de 600 m² surmonté d’une installation photovoltaïque de 100 kWc. "La production d’énergie finance le bâtiment".
S'équiper
Pour travailler cette châtaigne fraîche et locale, le couple a aussi dû investir dans une éplucheuse (25 000 euros) qui sert au pisage (action d’enlever la première peau) et à ôter la tan (deuxième peau). Et sous ce vaste espace, tournesol, colza cultivés respectivement en cultures associées avec du blé noir, sont remisés pour être ensuite pressés pour leurs huiles. Côté cultures - le domaine de Jean-Baptiste - "je vais essayer des associations avec de la lentille verte, du colza-féverole et du fenugrec pour ramener un peu d’azote". Préoccupation qui l’amène à pratiquer l’éco-pâturage avec un collègue éleveur de moutons, "et puis, voir des animaux dans les champs et sous nos arbres, c’est top". Quant à la vente de leurs produits estampillés "Plaisir des papilles", "c’est ce qui nous fait vivre. Nous distribuons dans les coop-bio du secteur, les magasins de producteurs".
Et parce qu’il fourmille toujours de projets, le couple vient de se lancer dans la création d’un magasin de producteurs à six collègues à Arzal. À "La Source", crème de châtaigne, choco-châtaigne, compotes de pommes-châtaigne ou bocaux de fruits entiers…, tout comme leurs huiles, seront disponibles en vente directe.
Pour les découvrir en images : https ://youtu.be/GdgUq0DrmOo
Une bogue d’or chinoise !

Gage de son renom et d’un passé prestigieux, elle a sa confrérie la châtaigne bretonne, celle du marron de Redon à l’instar de celui de Naples dont elle dispute toutes les qualités. Elle a sa foire, renommée en Bretagne, celle de la Teillouse à Redon, tous les 4e samedis d’octobre, couronnée d’une Bogue d’or annuelle. Elle a toujours ses gourmands qui la savoure grillée aux premières flambées de l’automne après l’avoir ramassée sous ses antiques arbres greffés. Car on doit aux conquêtes de César son arrivée en Gaule et en Bretagne où elle trouvera des terres hospitalières et des ventres à nourrir. Et elle marque encore la toponymie des lieux avec sa racine latine castanea, telle la commune de Quistinic en Morbihan. Mais de production actuelle ou de filière pour l’illustre châtaigne du Pays de Redon : que nenni !
C’est de Chine que provient aujourd’hui en majorité la châtaigne dont nous aimons entourer le chapon des fêtes. Après la grande famine qui a sévi dans les années 1960, la Chine, par sa politique de reboisement, est devenue depuis les années 1990, et en moins de vingt ans, le leader mondial de la production de châtaignes avec plus de 2,2 millions de tonnes produites, investissant dans des outils européens (ex Minerve, n° 1 français (breton) ruiné en 2016) quand celle européenne, y compris turque, régressait passant de 200 000 tonnes à moins de 160 000. 13 000 tonnes sont produites en France, quatrième producteur européen où l’Italie, l’Espagne et le Portugal tiennent le podium. Une production qui a été divisée par dix en cinquante ans. Cet "arbre à pain" qui a nourri et sauvé de bien des famines la France rurale d’avant la pomme de terre, trouve encore ses lettres de noblesse en Ardèche (6 000 t produites), Dordogne et Var où après la Corse, la Bretagne fut encore une région de production importante au début du XXe siècle. D’où l’idée de la ferme des écureuils, en plein berceau de la châtaigne bretonne.