L’œuf en constante adaptation pour répondre aux attentes sociétales
Depuis le printemps 2020, les chambres d’agriculture de Bretagne conduisent une vaste étude prospective pour imaginer ce que pourraient être, de manière réaliste, les agricultures bretonnes à l’horizon 2040. Pour cela elles ont commencé par réaliser un état des lieux de 13 filières présentes en Bretagne en interviewant pas moins de 90 acteurs de ces filières. Aujourd’hui, découvrons la filière poules pondeuses…

"Les tendances seront plus vertes mais il ne faudra pas oublier l’économique"
Le manque de rentabilité économique de la filière va perdurer, freinant ainsi les investissements et expliquant pour partie le non-renouvellement des actifs.
Des coûts supplémentaires seront générés par le verdissement des politiques publiques qui impactera nécessairement les pratiques d’élevage.
Ces évolutions devront être valorisées économiquement, ce qui sera plus facile pour ceux qui travailleront en local. L’amélioration du bien-être animal va aussi se poursuivre. Par exemple, le sexage des œufs va se développer, probablement à marche forcée. Cela aura un impact majeur sur la structuration de l’amont et des couvoirs.
"Face aux attentes paradoxales du consommateur qui veut du bio et du plein air pas cher, il faudra faire du volume"
La transition vers l’alternatif va se finaliser à échéance de cinq ou dix ans. Les éleveurs évolueront probablement vers un agrandissement. Il faudra alors être vigilant face aux oppositions sociétales que soulèvent les nouveaux projets en Bretagne. La pression sociétale et l’influence des ONG continueront de s’intensifier pour aller vers davantage de plein air. Les dérives sur le développement du bio peuvent amener à une différenciation de deux types de bio : le bio industriel (par opportunisme) et le bio fermier (par conviction).
"Le comportement des consommateurs concernant les produits transformés peut aboutir à moins d’ovoproduits"
Pour les œufs coquille, la hausse de consommation devrait s’inscrire dans la durée. En revanche, le comportement des consommateurs vers une diminution des produits transformés peut aboutir à une baisse de la demande en ovoproduits. De plus, les industriels développent de nouvelles recettes pour éviter les œufs en réponse à la problématique des allergènes pour lesquels l’œuf est particulièrement concerné. Il faudra être vigilant car la Bretagne est orientée vers les ovoproduits (restauration hors domicile et industries agroalimentaires).
Info : Cette analyse s’est appuyée sur six entretiens, réalisés en mai et juin 2020, auprès d’exploitants, de conseillers techniques, de représentants de la profession et d’élus. Certains des messages marquant ont été repris tels quels dans cet article, ils apparaissent "entre guillemet".
La filière bretonne en 2021 : carte d’identité
La Bretagne est la première région française en capacités d’élevage de poules pondeuses (œufs de consommation ou à couver).
En 2020, les effectifs de volailles de ponte représentent 42 % du cheptel national avec près de 24 millions de poules pondeuses (20 millions pour les œufs de consommation, et 4 millions pour les œufs à couver).
En 2020, la Bretagne a produit 6 milliards d’œufs, soit 42 % de la production nationale.
En 2018, plus de 2 millions de poules pondeuses bretonnes étaient bio
(10 % du cheptel breton et 28 % du cheptel bio français, première région de France).
La Bretagne présente un déséquilibre marqué entre sa capacité de production et ses outils de conditionnement et de transformation (respectivement 30 % et 18 % des outils nationaux en 2013).
En 2015, la Bretagne compte 12 établissements spécialisés dans les activités de casserie et de fabrication d’ovoproduits et une soixantaine dans l’activité de conditionnement.
Elisabeth Hamon, membre du groupe de travail volailles de la chambre d'agriculture
Quel regard portez-vous sur la transition vers l’alternatif ?
Elisabeth Hamon. Collectivement, la filière a su s’adapter à la demande. C’est une bonne chose, même si certaines conséquences n’ont pas été anticipées. Il me semble inconcevable d’avoir forcé la réorientation des élevages vers l’alternatif sans tenir compte du temps nécessaire pour la reconversion des bâtiments ou encore des conséquences économiques pour la filière. Les attentes sociétales vont se poursuivre et s’intensifier à l’horizon 2040. Pour ne pas nous mettre à nouveau en difficulté, il faudra considérer tous les impacts de ces demandes et les chiffrer en termes de coût et de valeur.
Comment s’adapter face à des attentes sociétales en évolution constante ?
E. H. Nous l’avons déjà prouvé par le passé, la filière œufs est réactive et a une forte capacité d’adaptation. Mais il y a un élément essentiel : le consentement à payer du consommateur doit être cohérent avec ses attentes. Sinon, nous continuerons d’assister aux déséquilibres offre-demande que nous connaissons aujourd’hui. Pourtant, l’exigence de prix bas pour le consommateur devrait perdurer. Il nous faudra alors faire des économies d’échelle pour répondre à ces différents enjeux, ce qui entraînera une augmentation du cheptel. Nous devrons être vigilants et garder une juste mesure dans la taille des bâtiments de demain pour préserver l’image de la filière.
Quelle image avez-vous de la filière poules pondeuses ?
E. H. J’en suis fière ! L’amélioration du bien-être animal a été continue et va se poursuivre dans les années à venir. L’amélioration aussi du bien-être de l’éleveur : il nous faut réinventer nos conditions de travail pour s’adapter à l’alternatif. L’automatisation et le numérique sont des atouts indispensables pour bien vivre notre métier au quotidien. Cela participe, entre autres, à l’attractivité du métier pour assurer le renouvellement des générations sur notre territoire breton. / Delphine Scheck