Ovo-sexage : "les producteurs d'œufs ne pourront pas payer le surcoût"
Les producteurs d'œufs et les OP - via l'Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne - alertent du projet de décret du gouvernement de rendre obligatoire l'ovo-sexage en 2022 afin d'éliminier les poussins mâles des souches de pondeuses. Des discussions sont en cours entre professionnels et ministère pour trouver une solution au surcoût de la détection des mâles. Explications chiffrées.

Français et Allemands sont favorables à l'interdiction d'éliminer les poussins mâles chez les sélectionneurs en filière œufs de consommation en rendrant obligatoire l'ovo-sexage courant 2022.
"En effet, le 18 juillet 2021, le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a annoncé la décision de mettre fin à l'élimination par euthanasie au CO2 et par broyage des poussins mâles courant 2022", rappelle l'UGPVB, qui indique que le Conseil d'État sera saisi du projet de décret avec pour conséquence au 1er janvier 2022 : "tous les couvoirs français de la filère Ponte œuf de consommation devront avoir installé ou commandé une machine de sexage in-ovo pour mettre fin à ces pratiques".
Cette décision "hâtive" de la France et de l'Allemagne inquiète les producteurs français et la filière, dans l'Hexagone qui y voit une coïncidence avec le calendrier politique des prochaines élections présidentielles. Or le coût de l'ovo-sexage par poule est prohibitif et le plan financier annoncé par l'État de 10 millions d'euros est loin de couvrir l'enveloppe globale des frais de fonctionnement annuels qui en découlent.
Des techniques innovantes mais coûteuses
Les méthodes d'ovo-sexage sont particulièrement récentes et requièrent des technologies de pointe, c'est pourquoi seules deux méthodes sont disponibles à ce jour : l'imagerie spectrale et le dosage du sulfate d'oestrone. La première est une méthode optique non invasive qui détecte l'apparition de la couleur liée au sexe des souches brunes : les plumes des femelles étant brunes et celles des mâles blanches par dimorphisme sexuel. La technique AAT en question consiste à découper au laser et enlever un petit morceau de la coquille (sans toucher à la membrane de l'œuf) ce qui permet la détermination du sexe au 13e jour d'incubation. L'erreur de sexage est inférieure à 2 % pour une cadence de 20 000 œufs par heure et un surcoût de 1,08 €/poule (voir tableau).
La deuxième technique, baptisée "technique Seleggt", est une technique invasive qui prélève du liquide allantoïque de l'œuf pour en évaluer le taux d'hormones au 9e jour idéalement (fiabilité de 97-98 %) à l'aide d'un réactif (temps d'attente). Cette méthode automatisée développe une cadence de 3 500 œufs par heure et un surcoût évalué à 3,40 €/poule.
À partir de ces deux méthodes, l'UGPVB a évalué le surcoût pour le producteur, "soit 21 600 à 68 000 € par an à répercuter sur la vente d'œufs pour un élevage de 20 000 poules pondeuses et jusqu'à 340 000 €/an pour 100 000 poules pondeuses". Le surcoût s'établit entre 20 % et 42,5 % de la marge brute des producteurs et pourrait même être "supérieur au revenu de l'éleveur selon la technique utilisée et le mode de production (cages, sol, plein air ou bio) !"
Le surcoût s'établit entre 20 % et 42,5 % de la marge brute des producteurs.
Une filière en danger
"Ce qui va augmenter in fine, c'est le prix de la poulette prête à pondre qui arrive dans les élevages", résume Frédéric Chartier, président de la commission économique Œufs à l'UGPVB et éleveur de poules pondeuses plein air et bio à Saint-Juvat (22). Demain, les tous premiers à faire les frais de ces décisions politiques seront les producteurs d'œufs de poules pondeuses blanches (15 % des effectifs) dont la production est totalement dirigée vers l'industrie des ovoproduits, avec, pour seule possibilité, la technique Seleggt au surcoût de 3,40 €/poule. Sur un tel marché ouvert à la concurrence, c'est tout simplement "la disparition de cette filière nationale qui est en jeu", alerte Frédéric Chartier. "Qu'est-ce qui pourra empêcher les industriels d'aller se fournir chez nos voisins européens qui n'appliquent pas l'ovo-sexage ?".
Globalement, cette décision politique, éleveurs et OP de l'UGPVB la qualifie de "visée politique" à l'approche des élections présidentielles avec pour dommages collatéraux rien moins que la mise en péril économique des élevages, des importations massives d'œufs, de la distorsion de concurrence et la perte d'autonomie alimentaire en France...
Qui pour payer l'addition ?
"Qui paie ?", demande le maillon producteurs. Si l'État a prévu une enveloppement de 10 millions d'euros grâce au Plan de relance pour aider cinq couvoirs à s'équiper de la machine, les frais de fonctionnement chiffrés à 64 millions d'euros ne seront pas compensés, calcule l'UGPVB. Rien n'est prévu hormis le recours à l'indexation de la loi Egalim 2 encore en projet... quand la loi Egalim 1 ne produit pas les effets escomptés envers les producteurs. La conjoncture n'est définitivement pas favorable à une telle décision politique, estime Frédéric Chartier. "La transition des cages et les nouvelles normes bio ne sont pas finies" et "nous avons déjà du mal à faire passer le surcoût de la hausse du coût alimentaire de 1 centime par œuf auprès de la grande distribution", rappelle-t-il. À l'autre bout, s'agissant du consommateur, la compensation serait de 0,38 à 1,2 centime par œuf selon la technique utilisée.
Sans prise en charge de l'État et sans prise en compte du surcoût par le consommateur, "le maillon producteur ne prendra pas le surcoût à sa charge, c'est tout bonnement impossible !", alerte très inquiet le président de la commission économique Œufs. "C'est à l'État de prendre en charge ce surcoût". En toute logique, les professionnels veulent que ce dossier soit porté au niveau européen pour qu'il y ait une harmonisation de l'ovo-sexage. "Le problème, c'est le temps imposé". Espérons que le message passe durant le Space car la filière française marche sur des œufs...