Comment l’Allemagne a éradiqué le virus ToBRFV
En juillet 2019, l’Allemagne a éradiqué le tomato brown rugose fruit virus (ToBRFV) apparu neuf mois plus tôt sur son territoire. Un succès dû à la chance et à des protocoles d’hygiène draconiens. Un témoignage intéressant au moment où l'on craint en Bretagne la diffusion du virus, détecté dans une serre finistérienne.

"Nous pensons que le virus s’est probablement propagé via les caisses qui servent à la récolte", explique Heike Scholz-Döbelin. Cette ingénieure horticole spécialiste des tomates sous serre à la chambre d’agriculture de Rhénanie du nord-Westphalie était aux premières lignes quand le virus ToBRFV est apparu dans l’ouest de l’Allemagne. C’est à l’automne 2018 que le premier cas de tomato brown rugose fruit virus (ToBRFV) a été confirmé dans la région du BasRhin, frontalière avec les Pays-Bas. "Dans cette région il y a un groupe de treize gros producteurs de tomates sous serre. Deux d’entre eux se chargent de faire le tri et l’emballage. Les caisses qui servent à la récolte vont et viennent entre les exploitations, et on pense que c’est comme ça que s’est transmis le virus".
Origine inconnue
"Des symptômes étaient déjà apparus sur une exploitation dès mars-avril mais on ne savait pas vraiment ce que c’était", complète le directeur du service phytosanitaire de la chambre d’agriculture de Rhénanie du nord-Westphalie, Gerhard Renker. Finalement, ce n’est pas une mais sept exploitations de tomate sous serre sur substrat minéral qui ont été contaminées au ToBRFV. Selon Renker, la ferme d’où, a priori, est partie la contamination comptait 2 à 3 ha de tomates et a perdu 80 % de sa production. Les six autres fermes ont perdu 10 à 30 % de leurs volumes de fruits. En tout, une vingtaine d’hectares de serres ont souffert, fort heureusement "dans une zone assez fermée", précise le responsable du service de quarantaine. "Nous ne savons comment le virus est arrivé", reprend Renker qui assure avoir enquêté dans de multiples directions. "Dans notre région, il n’y a pas de production de plants de tomates. Tout vient des Pays-Bas. […] Début 2019, nous avons testé tous les jeunes plants en provenance de ce pays et nous n’avons trouvé aucune trace du virus, poursuit-il. Peut-être que des maraîchers ou horticulteurs ont été à l’étranger… Vous savez, tous ces passionnés de jardinage collectionnent des matériaux végétaux d’un peu partout".
Ne pas paniquer mais prendre ce virus au sérieux.
Trêve hivernale
L’origine du virus ToBRFV en Rhénanie du nord-Westphalie demeure un mystère. Cela n’a pas empêché l’Allemagne de parvenir à l’éradiquer neuf mois plus tard, en juillet 2019. Alors qu’Israël et le Mexique, victimes de cette maladie depuis 2014 et 2018, n’y sont toujours pas parvenus. "Nous avons sans doute détecté le virus à un stade précoce de propagation", tente d’expliquer Gerhard Renker. De plus, le virus est apparu en fin de saison de production, juste avant la trêve hivernale :" Ici on produit de la tomate pendant onze mois, en général de janvier à novembre".
En France aussi, hormis certains départements particulièrement ensoleillés comme le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône ou les Pyrénées-Orientales, les producteurs de tomates font une pause hivernale, assure le vice-président de l’AOPn tomates de France Bruno Vila. Pause qui dure "un à trois mois entre octobre et décembre" selon que les cultures sont sous serre chauffée, sous abri froid ou anti-gel, ajoute-t-il. Ce qui veut dire que le cas de ToBRFV détecté le 17 février dans le Finistère intervient au mauvais moment car en début de campagne.
Des mesures de précaution draconiennes
"Notre message aux producteurs est de ne pas paniquer mais de prendre ce virus au sérieux", tempère Marlene Leucker, responsable de la protection des légumes à la chambre d’agriculture de Rhénanie du nord-Westphalie. Elle raconte que d’après une étude menée sur un herbier, la sève d’une feuille contaminée au ToRBVF était encore infectieuse après 50 ans : "Cela montre à quel point il est difficile d’éliminer toutes les particules de ce virus présente dans l’environnement". Depuis l’apparition du foyer infectieux en octobre 2018, son service a défini un ensemble de mesures de prévention à mettre en œuvre pour éviter tout risque contamination dans les serres : passer les pieds et les mains dans un sas de désinfection, porter des vêtements de travail internes à l’entreprise et se protéger les cheveux - vecteurs potentiels du virus -, notamment pour les personnes qui travaillent sur plusieurs exploitations...
Le document préconise d'arracher les plantules de tomates et mauvaises herbes qui sont des hôtes fréquents et latents à l’intérieur comme à l’extérieur de la serre, de ranger les outils de coupe dans le même compartiment, sans oublier de les nettoyer puis de les désinfecter après usage - de même que les caisses, chariots élévateurs et autres équipements.
Enfin, il est conseillé d’interdire les tomates et poivrons importés de pays touchés par le virus dans les repas pris au sein de l’entreprise. "Sommes-nous préoccupés par un retour du virus en Allemagne ? Oui, on n’est jamais à l’abri", conclut Leucker.
Savéol veut rassurer
Le directeur de Savéol Pierre-Yves Jestin a confirmé que le producteur finistérien victime du virus de la tomate ToBRFV est un adhérent de sa coopérative. "Oui, c’est tombé chez nous. Cela aurait pu tomber ailleurs, c’est vraiment le fruit du hasard", a-t-il déclaré en conférence de presse, le 24 février au Salon de l’agriculture. Il a indiqué que l’exploitation où le virus a été détecté le 17 février "en est aujourd’hui à préparer l’opération de vide de serre et de destruction par incinération [des matériaux végétaux contaminés]". Interrogé sur les mesures de désinfection engagées par Savéol pour empêcher la transmission du virus via les infrastructures partagées de la coopérative, il a répondu que Savéol "n’a pas attendu 2020" pour mettre en place des mesures prophylactiques pour les travailleurs sous serre, telles la désinfection des mains et le changement de gants d’une serre à l’autre. "Concernant les flux de nos production – ceux de tomates ou autres –, nous sommes toujours dans des flux sur un seul sens, c’est-à-dire que les produits rentrent dans la station de conditionnement et ressortent à l’autre bout sans aucun retour d’emballage, de palette, et de risque éventuellement de croisement de maladie d’un producteur à l’autre", a-t-il assuré.