Suède, le pays du "bien vivre animal"
Troisième plus grand pays d’Europe après la France et l’Espagne, la Suède a l’une des plus faibles densités de population au kilomètre carré. Grand pays par la taille, petit pays pour sa production agricole et sa population, elle a développé un modèle agricole que les Scandinaves souhaiteraient imposer sur l’ensemble de l'Europe. Fortement importateurs, les Suédois ont préféré jouer la carte de l’environnement, du bien-être animal et de la lutte contre le réchauffement climatique, en établissement des lois nationales qui donnent des droits aux animaux, développent l’agriculture biologique et restreignent au maximum le nombre de produits chimiques autorisés. Une action qui a permis, dans le pays, de retourner l’effet "agribashing" vers un respect des agriculteurs de la part des citoyens.

Les jeunes Suédois n’ont plus de relation avec l’agriculture qui est devenue minoritaire dans le pays. Le lien du sang n’existe pratiquement plus. Profondément tournés vers la nature, ils développaient une haine pour ces agriculteurs qui maltraitaient les animaux, polluaient l’air et les sols avec la chimie et réchauffaient notre planète. Une tendance lourde bien difficile à accepter par le monde agricole.
Agriculture et citoyens : le retournement de tendance
Depuis cinq ans, cette tendance a commencé à s’inverser. Des mesures politiques ont été prises, en concertation. Les exploitants ont ouvert leurs portes. Ils ont fait des efforts dans leurs pratiques, beaucoup communiqué sur cette évolution. Ils ont surtout réussi à trouver des journalistes, leaders d’opinion dans les médias nationaux, qui sont devenus des porte-parole pour montrer au peuple les vertus de l’agriculture. Aujourd’hui, citoyens et agriculteurs veulent être acteurs de leur futur. Ensemble, ils se sont appropriés la baisse du nombre de molécules utilisées en protection des cultures, les techniques d’agriculture de conservation des sols et les lois sur le bien-être animal pour porc, bovin et volailles. L’écriture du plan national stratégique de l’agriculture écrit en 2016, a poursuivi cette voie de réconciliation entre le peuple et son agriculture et le challenge de "produire plus" est admis par la majorité. Un logo spécifique "produits issus de l'agriculture suédoise" a même été créé pour favoriser une production nationale très "engagée" mais dont le coût de production est élevé, estimé à 30 % supérieur à la moyenne européenne.
Pouvoir plus se faire entendre en Europe
Membre de l’Union européenne depuis 1995, la Suède ne compte que dix millions d’habitants. Le pays ne peut subvenir à ses propres besoins agricoles : selon la FAO, les deux tiers de ses légumes et fruits frais doivent être importés. La forêt couvre en effet 62 % du territoire pour seulement 7 % de terres arables. Les Suédois sont très "européens". Ils ont bien conscience que pour leur stabilité politique et territoriale, l’Europe est fondamentale. Ils aimeraient avoir plus d’influence sur les décisions européennes. C’est pourquoi ils recherchent souvent l’appui du Danemark et de la Finlande, voire des États baltes. En agriculture, ils veulent peser sur le bien-être animal et sur l’empreinte carbone.
En Suède, l'exploitation du bois domine. La principale production agricole est le lait (20,6 % de la production agricole totale). Les exploitations suédoises sont nettement plus vastes en moyenne que dans l’UE des Vingt-Huit (45,2 ha contre 16,1 ha) et seuls 4,4 % des fermiers sont âgés de moins de 30 ans (6 % dans l’UE à 28). La grande majorité des agriculteurs estiment que les lois de Bruxelles ne sont pas justes, qu'il existe trop de distorsions de concurrence. Ils souhaitent une politique identique, un vrai marché commun.
Coopération = concentration
Dans ce pays où le secteur agricole est minoritaire, le système coopératif a trouvé toute sa place, avec comme chez son voisin danois, une coopérative leader dans chaque production. Tout agriculteur suédois qu’il soit céréalier, producteur laitier, porcin, aviculteur ou encore sylviculteur, est membre de plusieurs coopératives. Des entreprises qui ont dû s’exporter pour pouvoir survivre, en s’alliant avec leurs voisins scandinaves pour trouver des marchés en Europe et à l’international (Asie en priorité). Arla est devenue une multinationale grâce à son actionnariat commun avec les Danois et son développement partout en Europe. Lantmännen, le leader de la filière céréalière avec ses outils de transformation, travaille sur le marché national mais aussi exporte dans les pays voisins. 49 % de la forêt suédoise est gérée par des coopératives.
Le pays en chiffres
- Superficie : 449 964 km² soit l'équivalent de 80 % de la France.
- SAU : 26 430 km² soit 9,2 % de la France.
- Population : 10,2 millions d’habitants dont 3 % travaillent en agriculture.
- PIB (2017) : 538 milliards € (25,2 % de la France) dont agriculture : 1,82 % ; industrie : 27,4 % ; services : 70,8 %.
Témoignage : Du lait bio valorisé en direct en self-service
Tout a commencé pour Annette comme un conte de fée. Elle rencontre son mari Jakob, passionné comme elle, par l’agriculture et la nature. Une vieille dame sans descendant dont s’occupe le jeune couple leur lègue 17 ha de prairies. C’est encore aujourd’hui les seules terres qu’ils possèdent pour une exploitation de 300 ha qu’ils cultivent.
"À plus de 30 000 €/ha à l'achat, nous sommes totalement incapables d’investir dans de la terre". La passion est partout chez eux. Elle a réussi à se transmettre à leurs deux fils qui viendront prochainement sur la ferme.
Bien-être animal
Le cœur de la ferme, c’est l’élevage bovin lait que dirige Annette : 130 vaches laitières essentiellement Holstein et des croisées Holstein x Sweedish breeding x Montbéliarde. "Le bien-être animal est fondamental, c’est dans notre culture. Les 130 vaches sont dehors de mai à fin octobre. Il le faut pour leur bonheur. L’hiver, il fait entre -5 et -10°C. Chaque vache a son nom. J’adore mes vaches et le lait qu’elles produisent. Pour moi, les envoyer à l’abattoir n’est pas un problème. Cela fait partie de l’équilibre de la planète pour nourrir la population. J’aime beaucoup les manger et même savoir laquelle je mange, car je sais qu’elle a été heureuse toute sa vie. La seule qui ne partira pas c’est Molly que mon mari m’a offerte pour mes 40 ans !".
Ne nous trompons pas, l'ambition d'Anette est bien malgré tout la productivité et la rentabilité. "Nous avons développé du bio car cela nous amène 10 ct de plus par litre soit 0,45 €/litre et cela correspond bien à notre état d’esprit". La région favorise le bio car l’intensif ne donnerait rien de plus. 90 % de l’alimentation provient de l’ensilage d’herbe auquel est ajouté du soja non OGM mais pas de maïs.
85 % de la production de lait est livré chez Arla, la grosse coopérative suédo-danoise. Le reste part en vente directe. "Sur la ferme, j’ai développé un magasin self-service avec un distributeur de lait frais et un peu de produits transformés comme des yaourts et des fromages. Quelques autres produits locaux viennent compléter la gamme. Ici, pas besoin de caissière. Les paiements se font dans une boîte en fer avec de la monnaie. Jamais nous n’avons eu de vol, nous croyons à l’honnêteté des gens". Annette a aussi la chance d’avoir un voisin qui tient deux épiceries à Stockholm, la capitale, situé à 60 kilomètres de là. Il vient tous les matins chercher du lait frais et les produits transformés dont il a besoin. Un excellent complément de revenu car elle reçoit 1,14 € par litre de lait vendu.
La partie végétale n’est que le support de l’élevage. 70 % partent en alimentation animale, le reste est valorisée à la coopérative, autour de 170 €/t pour le blé cette année. Deux personnes y travaillent à temps plein. La culture biologique y est pratiquée. L’agriculture de conservation des sols aussi.
Au total, sept personnes travaillent sur l'exploitation donc cinq salariés.
Réseaux sociaux : un moyen d'éduquer avec des images simples
La ferme est intégrée dans la vie sociale du village et ses alentours. Facebook et tous les réseaux sociaux servent de vitrine, pas besoin de publicité. N’hésitez pas à taper Billinge Gärd : ses vidéos sont de petits films pédagogiques qui sont très suivis. "On fait vivre le village. J’ai créé une dynamique avec une histoire entre une vache et un corbeau. Petits comme grands sont passionnés. C’est devenu très populaire. C’est ainsi que j’explique notre métier. C’est incroyable comment les gens n’y connaissent rien, il faut les éduquer par des images simples et marquantes. Je voudrais montrer qu’il faut éviter les préjugés".
Annette en est persuadée, le futur va être beau car les personnes qu’elle rencontre sont de plus en plus sensibles à son métier. "Nous avons un environnement exceptionnel avec de l’eau et un bon climat. Cela nous apporte beaucoup d’opportunités. Il faut que Bruxelles comprenne et adapte la politique aux nécessités d’une agriculture propre. Les pratiques et droits doivent être les mêmes dans tous les pays. La biodiversité est très importante, il faut la soutenir".