Re-territorialisation de l’alimentation : mode ou tendance de fond ?
Si les consommateurs sont nombreux à vouloir privilégier les achats locaux, les collectivités, elles aussi, veulent favoriser circuits courts et agriculture de proximité. Simple effet de mode ou réelle tendance de fond ?

"La crise de la vache folle a marqué un tournant décisif, analyse Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Inrae*. C’est de là qu’est né l’intérêt pour l’ancrage territorial de l’alimentation : les produits locaux rassurent le consommateur".
Local ou localisé
Depuis, deux grandes tendances se dessinent, consommer local ou localisé. "Consommer local rapproche producteurs et consommateurs d’un même territoire via des circuits courts de proximité, un approvisionnement local de la restauration collective voire une agriculture urbaine, détaille la sociologue. Mais cette démarche suppose de ré-équiper le territoire en outils de transformation, comme les abattoirs de proximité".
En consommant localisé, on reconnecte l’aliment avec son territoire de provenance, qui n’est pas celui où il sera consommé. "Ces deux tendances ne s’opposent pas, estime Yuna Chiffoleau. Et le consommateur peut jouer sur les deux tableaux, afin d’élargir son approvisionnement : le baser uniquement sur le local risque de réduire la diversité de l’offre, notamment en fruits et légumes".
Un besoin de réassurance
Si l’envie de consommer local est partie, côté consommateurs, d’un besoin de qualité, de réassurance et de transparence, elle a aussi permis aux producteurs de diversifier leurs sources de revenus et de se réapproprier de la valeur ajoutée. "Ce mouvement signe aussi de nouvelles formes d’engagement citoyen, surtout chez les jeunes. Et une opposition au système alimentaire mondialisé".
Le premier confinement, en mars dernier, a servi d’accélérateur à cette consommation de proximité, prenant au dépourvu nombre de producteurs en vente directe, dépassés par la demande. Mais à peine le déconfinement annoncé, les consommateurs ont, pour la plupart, retrouvé leurs habitudes. Alors ? Consommer local serait un simple effet de mode ou une tendance durable ? "La plupart des gens interrogés ont plutôt évoqué une lame de fond", indique Yuna Chiffoleau, en se référant à deux études réalisées par l’Inrae, l’une en 2018-2019, l’autre, "manger au temps du coronavirus", de mars à juillet 2020. "Même si ça ne se traduit pas et ne se traduira sans doute pas par d’importantes parts de marché".
Pourtant, les avantages d’une telle démarche sont nombreux. "Consommer local permet la création de lien social, détaille la sociologue. Et d’améliorer la qualité nutritionnelle, avec des produits frais et de saison". L’intérêt est aussi économique, avec la création de valeur ajoutée sur le territoire. Et environnemental, avec un changement plus ou moins important des pratiques agricoles. Ainsi, la vente de fruits et légumes à la grande surface oblige à zéro défaut et à de nombreux traitements, ce que n’impose pas la vente directe. Néanmoins, la logistique soulève de nouvelles questions, tout comme l’émergence d’une agriculture urbaine high tech.
Les collectivités aussi
Les collectivités, elles aussi, sont de plus en plus nombreuses à vouloir jouer un rôle dans la re-territorialisation de l’alimentation. Pourtant, les freins sont nombreux, entre des producteurs qui hésitent à s’engager, rebutés par la logistique ou la contrainte des appels d’offre, et des chefs de cuisine qui ne connaissent pas l’offre locale.
Souhaitant apporter sa pierre à l’édifice, le département du Finistère a commencé par lancer un PAT, un projet alimentaire de territoire, en 2017. "L’un des objectifs était de favoriser une alimentation de qualité pour tous, issue du territoire, relate Michaël Quernez, vice-président du conseil départemental. Puis nous avons lancé la plateforme Agrilocal, qui permet de dynamiser les achats de proximité, en recensant les producteurs, bouchers, boulangers… intéressés par la vente directe aux collectivités et en aidant ces dernières à rédiger leurs appels d’offre". Une initiative qui répondait à un réel besoin, à en juger par les 199 fournisseurs inscrits, dont 129 agriculteurs, et 117 acheteurs, dont 41 collèges et 43 communes.
* Michaël Quernez, Yuna Chiffoleau et Alexandra Marie-Moncorger sont intervenus le 3 décembre dernier dans le cadre des 4e assises de l’alimentation, organisées par le conseil départemental du Finistère sous forme de webconférence.
Proximité n'est pas synonyme de qualité !
Issue des États généraux de l’alimentation, la loi Egalim imposera, dès le 1er janvier 2022, à la restauration collective (écoles, universités, hôpitaux, prisons…) de s’approvisionner à 50 % en produits durables et de qualité, dont 20 % en bio. "Par qualité, il faut comprendre des produits label rouge, IGP, AOP…", précise Alexandra Marie-Moncorger, responsable du pôle offre alimentaire à la Draaf. "Local n’est pas un signe de qualité".