Co-construire la biosécurité en élevage de bovins allaitants
Réfléchir, entre éleveurs, à ce qu’est la biosécurité et à comment en parler avec leurs collègues, a permis de faire évoluer leurs représentations du sanitaire. En effet, via un dispositif innovant de réunions participatives, plusieurs groupes d’éleveurs de bovins allaitants ont changé leur façon de considérer le sanitaire dans leurs élevages. Ils ont co-construit un outil d’autodiagnostic des pratiques de biosécurité.

Les choix de conduite d’élevage dépendent de la perception par l’éleveur de ce qui est important. Le projet Co’Innobios, financé dans le cadre du plan EcoAntibio 2017, et piloté par l’Institut de l’Elevage en partenariat avec l’Yncrea, a mis en œuvre une approche participative pour aborder la biosécurité avec des éleveurs de bovins allaitants.
La biosécurité : une image plutôt négative
Les enquêtes réalisées par l’Institut de l’Elevage en 2014 dans 45 élevages de bovins, laitiers ou allaitants, répartis sur le territoire, avaient décrit des représentations plutôt négatives de la biosécurité. Les éleveurs associaient ce mot à des productions "hors sol" ou à des risques chimiques. Ils considéraient ce concept comme peu applicable à l’élevage de bovins. En conséquence, la mise en pratique des mesures de sécurité sanitaire était souvent incomplète. L’enquête menée ensuite auprès de 127 vétérinaires a montré des freins peut-être plus importants dans les élevages de bovins viande. En effet cette production comprend des périodes à l’herbe qui, aux yeux des éleveurs, paraissent moins à risques sanitaires (en comparaison à la période en bâtiment) ou soumise à des risques non maîtrisables (contact avec la faune sauvage). Comment, dans ce contexte, aider les éleveurs à mieux gérer le sanitaire en prévenant les risques de contamination de leur troupeau ?
Partager librement pour s’approprier le concept
Pour tenter d’améliorer leur perception de la biosécurité, le projet Co’Innobios a réuni trois groupes d’éleveurs de bovins allaitants pour partager leurs points de vue sur le sanitaire. En Aveyron, en Mayenne et en Saône et Loire, avec l’appui des GDS de l’Aveyron et de la Mayenne, et de l’Association d’éleveurs Elvéa de Charolles, une dizaine d’éleveurs volontaires sur chaque zone, se sont retrouvés 3 fois une journée en 2017-2018. L’animation des journées par Idèle et Yncrea a été réalisée via des techniques facilitant l’expression individuelle et la co-construction. Elle a été appréciée et s’est avérée efficace. En effet, la santé du troupeau est un sujet parfois difficile à discuter entre éleveurs, en raison des réticences à exposer ses problèmes ou par crainte du jugement. C’est aussi un sujet qui est souvent perçu sous un angle négatif : les maladies présentes, la mortalité, les coûts vétérinaires ou les pertes économiques. Cependant, au fil des réunions, les groupes ont pu échanger sur leurs pratiques en matière de sanitaire ou leurs difficultés, et les points d’amélioration possibles ou souhaitables. Le mot biosécurité a été implicitement accepté au fil des discussions, et l’intérêt des principales mesures de biosécurité a été discuté librement. La progression sur les trois journées leur a ainsi permis de s’approprier le concept de biosécurité, jusqu’à souhaiter rencontrer les groupes des autres départements pour croiser les points de vue.
Il est nécessaire de pouvoir s’évaluer en matière de pratiques sanitaires pour "savoir où on en est", mais aussi pour "en parler"avec les intervenants en élevage
S’autoévaluer : une évidence
Dès la première réunion, les trois groupes d’éleveurs ont fait le constat partagé qu’il est nécessaire de pouvoir s’évaluer en matière de pratiques sanitaires, pour "savoir où on en est", mais aussi pour "en parler" avec les intervenants en élevage, ou pour "faire réfléchir" d’autres éleveurs. Les trois groupes ont donc décidé de construire un outil d’auto-évaluation de la biosécurité en élevage de bovins allaitants. Au fil des réunions suivantes, trois différents outils ont donc été élaborés en partant des éléments clés identifiés par les éleveurs : le bâtiment, l’alimentation et l’abreuvement, la gestion des animaux, la gestion des équipements, la prévention des contaminations. Ces éléments faisaient consensus au sein des trois groupes, sans concertation préalable. Les outils ont ensuite été échangés et testés par tous les groupes. Au final, un outil à deux niveaux a été finalisé et validé à l’occasion de la réunion finale des trois groupes. Il nécessite à présent d’être confronté à l’avis des vétérinaires pour en faire notamment un outil d’autodiagnostic en ligne, pour sensibiliser les éleveurs et leur environnement technique aux clés de la maitrise du sanitaire en élevage. Les éleveurs ont indiqué leur souhait d’être associés au devenir de cet outil, confirmant ainsi implicitement leur intérêt pour l’outil, et pour la biosécurité de façon plus générale.
Demain, des formations d’un nouveau genre ?
La méthode utilisée dans Co’Innobios est fondée sur l’implication des éleveurs et la production, par eux-mêmes, d’outils adaptés à leur réalité et leurs besoins. L’Institut de l’Elevage et Yncrea ont facilité ce travail en proposant un cadre à la fois technique et d’animation. La méthode a alterné des temps de production collective en réunion et de retour individuel sur chaque exploitation. En réunion, les techniques d’animation, variées, créatives sont inspirées du co-design. Elles visaient à faciliter la production d’idées, puis leur convergence, en autorisant le débat d’idées. Le temps du projet n’a pas permis de mesurer des changements de pratiques, mais la méthode a fait la preuve de son efficacité pour stimuler la participation et l’appropriation par les éleveurs d’un concept au départ considéré comme inadapté aux élevages de bovins allaitants. Elle a permis la prise de recul sur ses propres pratiques.
Qu’en faire aujourd’hui ? Deux types de suites sont envisagés. D’une part, la valorisation directe de l’outil d’autodiagnostic créé, pour la sensibilisation des éleveurs. Néanmoins, tant que les éleveurs sont réticents à s’approprier la notion de biosécurité, leur intérêt pour cet outil restera limité. C’est pourquoi, la démultiplication de la démarche au sein de formations d’un nouveau type semble nécessaire. Ces formations innovantes pourraient impliquer les éleveurs dans la production de contenus et compléter leurs perceptions par des apports de connaissances. En effet, les rendre actifs, valoriser leurs connaissances et échanger entre eux permet de transformer les représentations. C’est une étape indispensable pour rendre la formation efficace et enclencher l’amélioration des pratiques lorsque c’est nécessaire.