Le kanndi de Mescoat renaît grâce à la ténacité d'une poignée de passionnés
Vestiges d'un temps où le lin a fait la richesse de toute une région, les kanndi ou maisons buandières, sont peu à peu tombées dans l'oubli. À Ploudiry (29), une poignée de passionnés a patiemment restauré celui de Mescoat, permettant aux visiteurs de comprendre comment se blanchissait le fil de lin dès le XVIe siècle.

Aujourd'hui, il a fière allure avec sa fontaine, sa toiture à lignolets ornée d'un chêne et d'un petit cochon, ses abords soigneusement entretenus... Mais comme bien d'autres éléments du petit patrimoine rural, le kanndi de Mescoat, à Ploudiry, a bien failli disparaître. "Il s'en est fallu de peu", confirme Marie-Françoise Cloître, présidente de Mein ha diri, l'association qui s'est créée en 2007 pour promouvoir le patrimoine de la commune.
À la fin de la seconde guerre mondiale, le toit, qui menaçait de s'écrouler, a été enlevé. Et le kanndi, recyclé en lavoir à la fin de l'épopée du lin dans le Léon, a perdu tout usage au début des années 60, avec l'arrivée des machines à laver le linge, une petite dizaine d'années avant que la fontaine ne soit à son tour abandonnée. "Elle fournissait de l'eau à tout le village jusqu'à ce que l'eau courante soit installée dans les maisons".
Perdu dans la végétation
Remblayé, le kanndi s'est peu à peu perdu dans la végétation. "Il y avait de l'eau et de la chaleur en été. Les arbres s'en sont donné à cœur joie". Et la mémoire du lieu s'efface doucement jusqu'à ce qu'une poignée de voisins n'en décide autrement. Ils commencent par nettoyer le site. "On a réussi à couper l'immense arbre qui avait poussé au milieu du kanndi sans abîmer les murs. Mais la souche, qui pourrit lentement, est encore visible contre l'un des murs". Puis les bénévoles protègent les murs contre les infiltrations avant que la restauration ne débute, en 2015.
Ploudiry a compté une quarantaine de kanndi. Dans ces terres, le lin s'est parfaitement inséré dans l'économie du village.
Une activité complémentaire
Apparus dès le XVIe siècle, les kanndi, ou maisons buandières, servent à blanchir le fil de lin. Acheté par des paysans-marchands sur la côte nord du Léon ou dans le Trégor, aux sols plus propices à la culture, il est ensuite confié à des tisserands. "Ils auraient pu tisser le fil et blanchir la toile. Mais la crée mesure plus de 100 mètres de long sur 60 à 80 cm de large... Ils ont donc choisi de blanchir le fil". Une activité qui se déroule aux beaux jours, suivie du tissage, en hiver. "C'était une activité complémentaire à leur petite ferme. Est-ce parce qu'elle leur procurait un revenu assuré qu'ils n'ont pas cherché à développer l'agriculture ?"
7 à 8 buées
Le kanndi comporte trois éléments : une cuve de granit, une cheminée, pour chauffer l'eau et un bassin d'eau courante. "Blanchir le lin est un travail fastidieux", indique Marie-Françoise Cloître. Les écheveaux de fil sont d'abord disposés dans la cuve, dans laquelle on rajoute une poche de cendres de hêtre. Puis la cuve est remplie d'eau chaude, afin de dissoudre la matière saponifiante des cendres. "Et on laisse tremper pendant 12 heures avant de rincer les écheveaux dans le bassin".
D'abord mis à égoutter sur une pièce de bois, ils sont ensuite transportés en brouette jusqu'au liorzh neud, le jardin à fil, où ils sèchent sur une corde à linge ou directement sur l'herbe où l'action combinée de la rosée du matin et du soleil contribuent aussi à blanchir le fil. "Et il faudra répéter ces buées 7 à 8 fois avant d'obtenir la teinte désirée".
Une quarantaine de kanndi
Ploudiry a compté une quarantaine de kanndi. Si celui de Mescoat, datant du XVIIIe siècle, appartenait en co-propriété aux villageois, d'autres, plus petits, ne disposaient que d'une cuve en bois, qui a disparu depuis longtemps. "D'autant qu'il fallait n'utiliser que du bois blanc pour ne pas teinter le fil".
Dans ces terres, le lin s'est parfaitement inséré dans l'économie du village. "Sous la cuve, une petite auge recueillait l'eau chargée en potasse, qui servait ensuite d'engrais dans les jardins", détaille Marie-Françoise Cloître. À l'arrière du kanndi, un dispositif ingénieux permet de diriger l'eau de rinçage du lin, via un canal souterrain, vers une prairie située en contrebas, les éléments fertilisants favorisant la pousse de l'herbe à la belle saison.
À une époque où il n'y avait pas d'eau courante dans les bâtiments, les vaches venaient aussi, matin et soir, s'y abreuver, comme en témoigne une courette empierrée à l'arrière du kanndi et un canal de fuite bordé de grosses pierres pour éviter que les vaches ne salissent l'eau. "Et en hiver, l'eau va servir, grâce à un système élaboré de canaux, à inonder la parcelle voisine, là encore pour la fertiliser".
Trois ans de travaux
Désormais propriétaire du site, la commune de Ploudiry finance l'achat d'une partie des matériaux. Et les bénévoles s'attaquent en 2015 à la restauration du bâtiment, sans savoir le travail colossal qui les attend. "La première année, le kanndi était hors d'eau", se souvient Marie-Françoise Cloitre. Après maçonnerie et couverture, les bénévoles décident de s'attaquer à l'environnement immédiat de la maison buandière. "Pour comprendre comment fonctionnait le kanndi, il a fallu des heures pour déblayer sans abîmer".
Après avoir patiemment retrouvé puis dégagé le canal acheminant l'eau de la fontaine au kanndi, les bénévoles s'attaquent à l'arrière du bâtiment. Première surprise : les pierres étant là moins bien rangées qu'en façade, on voit clairement que le kanndi a été agrandi. "Sans doute pour y creuser un puits car en fin d'été, la fontaine ne fournit plus suffisamment d'eau".
Après trois ans de travaux, et de belles surprises, le kanndi de Mescoat est désormais le seul en état de fonctionner. "Il nous reste juste à creuser le puits, à l'intérieur du kanndi, pour vérifier notre hypothèse", indique Marie-Françoise Cloître. Un travail qui demandera des heures de patience et qui est prévu en 2020.