Autriche, le champion d’Europe de la bio
Couverte à 70 % par de la forêt, l’Autriche est championne du monde de la perte de terres arables au profit des villes. L’agriculture essaie de survivre, en majorité dans des zones de semi-montagne, favorisant l’élevage laitier extensif, la vigne et l’arboriculture. Ici, il ne faut pas imaginer la production de produits "de base", car les rendements et les coûts de production ne pourraient être compétitifs. Plus de 60 % des agriculteurs sont double-actifs. Pays tourné vers la nature, la bio y a trouvé une place de choix avec 26 % de la surface, 22 % de la production totale et 24 000 fermes. Les trois grands acteurs de la distribution ont pleinement joué le jeu. La part de marché du bio dans les ventes de biens de consommation est aujourd’hui de 9 %.

L’agriculture a été pendant des siècles la base de ce pays de montagne et semi-montagne. 25 % de la population habite à Vienne et sa banlieue. Les Autrichiens sont très sensibles à la nourriture bio. Le pays est devenu un des leaders mondiaux avec 26 % de la production totale. Les trois leaders de la grande distribution, représentant 85 % de part de marché ont permis de faire progresser les ventes à 9 % de label bio. Les sentiments sur les agriculteurs sont très partagés dans ce pays.
60 % de double actifs
Dans les campagnes, plus de 60 % des agriculteurs sont double-actifs, ce qui favorise les liens entre leurs fermes et la population. Des fêtes sont organisées régulièrement et l’image des producteurs est bonne. Les organisations professionnelles et le gouvernement ont favorisé les liens au travers des lois et aménagements fiscaux, certains datant du XVIIIe siècle de l’impératrice Marie Thérèse, pour développer l’agrotourisme été comme hiver. Du fait qu’un tiers de son territoire soit classé en zones à contraintes naturelles et d’une forte ruralité, avec près des trois quarts de la population autrichienne qui vivent en zone rurale, l’Autriche a très rapidement développé des modèles d’agriculture divers et multifonctionnels, respectueux de l’environnement. Elle a misé sur le développement des filières biologiques et sans OGM et a développé sa stratégie d’exportation sur des produits de qualité et des labels d’origine.
Difficile approche de l'Europe
Globalement, les Autrichiens aiment assez peu l’Europe, mais dans ce pays largement marqué par les deux guerres, l'Europe reste synonyme de paix. Ils reprochent à Bruxelles d’être trop technocratique. Une obsession largement entretenue par les différentes coalitions au pouvoir qui utilisent ce sentiment pour mettre sur le dos des fonctionnaires européens de très nombreuses lois et contraintes, parfois saugrenues.
Les agriculteurs ont voté à 70 % contre l’entrée dans l'Europe car ils craignaient être totalement sous influence allemande. Depuis, le sentiment est plus partagé car plus de la moitié d’entre eux vivent grâce aux subventions.
Favorable à un second pilier fort, l’Autriche s’est montrée particulièrement réticente, lors des négociations, au projet de verdissement de la PAC qui conditionne 30 % des aides du 1er pilier à des pratiques agronomiques plus respectueuses de l’environnement. Elle indiquait que la conditionnalité existante du premier pilier, sous la forme notamment des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) constituait déjà une "composante verte". Par ailleurs, elle argumentait que le verdissement, par les contrôles supplémentaires qu’il occasionne, ne répondrait pas aux objectifs de simplification de la PAC. Redoutant que le verdissement du 1er pilier se fasse au détriment des agriculteurs ayant des pratiques en faveur de l’environnement, l’Autriche a plaidé tout au long des discussions pour que les exploitations agricoles déjà respectueuses de hautes exigences agro-environnementales soient considérées comme répondant aux critères de verdissement et a demandé la mise en place d’une liste de pratiques équivalentes.
Le bois, un secteur clé de l'agriculture
70 % du territoire autrichien est couvert de bois. Chaque exploitation en possède quelques hectares. Ce massif appartient en priorité à l’État (35 %), à l’Église (24 %) et aux agriculteurs (22 %). Excellant dans la production, l’Autriche importe du bois de ses voisins allemands, polonais, slovaques et tchèques, pour le transformer et l'exporter ensuite avec une grande plus-value. Le monde agricole utilise le bois de façon artisanale dans la ferme ou pour les besoins de chauffage.
L'agriculture bio autrichienne dans la tourmente
La production biologique autrichienne est au cœur d’une récente polémique. À la suite d’un audit commencé en 2017, Bruxelles estime que le pays a appliqué, de manière très laxiste, les règles européennes. Les dirigeants autrichiens ne le contestent pas mais ils disent que ces règles fixées par les fonctionnaires européens ne sont pas adaptées à un pays où les conditions de production sont dominées par une agriculture de moyenne montagne. En 2018, la Commission a retenu 1,75 million d'euros à la bio autrichienne. Pour 2019, les sommes pourraient être plus élevées si l’Autriche ne met pas fin aux exceptions. Est-ce la fin d’un mythe ?
Témoignage : Des fruits qui se démarquent pour régaler le consommateur
À quelques kilomètres de la frontière de la Slovaquie et de la Hongrie, dans une zone de semi-montagne, s’étend un verger important de fruits, à flanc de colline, proche de la commune de Sankt Ruprecht an der Raab où Bernhard est né. "La ferme date du XVIIIe siècle. À l’époque, on y cultivait de la vigne. Elle a été arrachée à cause du phylloxera. Mon arrière-grand-père en a profité pour la racheter".
Comme pour la grande majorité d’agriculteurs autrichiens, la vie était à l'époque très rude avec un climat continental chaud en été et très froid en hiver. Pour survivre, la ferme développait un élevage de 5 vaches, quelques cochons, du bois et des pommiers pour élaborer le "most", un cidre à 5°, très populaire à l’époque. Pauvre et sans visibilité, double actif quand il le pouvait, le père de Bernhard a pris des risques dans les années 70. Une forme d’euphorie a sublimé la production de pommes, il en a profité pour en planter sur les deux tiers de son exploitation.
Retour à la ferme
"Mon père est très autoritaire et peu ouvert au dialogue. Après mes études d’ingénieur, j’ai préféré travailler à l’extérieur dans la puissante chambre d’agriculture, en qualité de conseiller à la production de fruits. Cela m’a permis de créer un réseau qui me sert bien aujourd’hui".
À la retraite de son père, Bernhart a non seulement repris l’exploitation de 10 hectares mais l’a doublée par son mariage avec Anna. Ils exploitent tous deux en bio, lui avec 95 % de pommes et 5 % de fruits rouges, elle 90 % de pommes et 10 % d'abricots. Ils emploient deux salariés familiaux et quatre saisonniers (roumains) lors de la récolte et de la taille.
La chute du mur de Berlin a tout changé
"Avant nous étions aux confins de l’Europe, la limite du monde libre". Mais depuis le 9 novembre 1989, tout a changé. Un vaste marché s’est ouvert à l’Autriche avec des pays frères, d’histoire commune, le fameux empire austro-hongrois. La contrepartie, c’est aussi une nouvelle concurrence notamment dans les pommes polonaises et tchèques. Bernhard le sait bien, produire de la pomme standard ne pourra plus être une solution dans une mondialisation galopante. Lui et ses collègues doivent se spécialiser, se différencier, que ce soit sur la qualité du produit ou sur les variétés. "Fini la Golden ou la Gala, je produis de la Topaz, une variété autrichienne, plus juteuse et goûteuse, et du bio sur 50 % de ma production. Nous devons revenir à nos racines, retrouver notre bon sens paysan. Produire ce que nous savons faire sans intensification, ni stress".
Organiser les marchés
Bernhard est un leader. Il est devenu président d’un club de producteurs OPST, sorte d’Organisation de producteurs autrichienne, créée à la suite du dépôt de bilan de la principale entreprise de collecte de pommes qui appartenait à Raiffeisen, le Crédit Agricole autrichien. "Il y avait urgence car nous allions perdre tous nos débouchés. À 300 producteurs, nous nous sommes fédérés pour reprendre pour l"'euro symbolique" l’outil de production. Aucun agriculteur n’a dû mettre la main au portefeuille. La force du groupe nous permet de décrocher des subventions de Bruxelles qui couvrent les coûts de fonctionnement. Pour une modeste adhésion de 150 €, chacun d’entre nous a accès à des marchés autrichiens et européens. Les consommateurs disent que les pommes chiliennes et polonaises ne sont pas bonnes et n’ont pas de goût, c’est notre chance". L’entreprise dont Bernhard est président affiche un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros et fait vivre 80 familles dont la plupart sont des agriculteurs à temps partagé. Il existe une parité de producteurs bio et conventionnels. Une petite diversification est faite dans la poire, l’abricot, la pêche et les fruits rouges.
L’avenir est un véritable challenge
"Nous manquons de jeunes qui aient le courage de s’installer. Le prix du foncier en hausse de
60 000 à 100 000 €/ha arrêtent les plus téméraires. Les jeunes savent aussi que la rentabilité des trois dernières années a rendu difficiles les investissements indispensables pour la survie d’une entreprise. J’ai d’ailleurs dû recommander à plusieurs de nos adhérents d’arrêter, car ils ne pouvaient pas se remettre de l’obsolescence de leurs outils". Concentré, Bernhard mobilise ses forces sur la qualité, la réactivité et l’export.